Le Canada est de plus en plus frappé par les désastres naturels, que ce soient des inondations, des incendies de forêt ou de violentes tempêtes. Si l’armée est davantage sollicitée sur son propre sol, les réservistes ne sont pas en reste : dans la région de Montréal, au cours des dernières semaines, ils formaient la majorité des effectifs militaires déployés.

Annie Bolduc enseigne l’éducation physique au primaire. À la fin du mois d’avril, ce sont les nuits que la mère de 38 ans a passées dans un gymnase : celui d’une église de Pierrefonds, reconverti temporairement en dortoir.

Réserviste dans l’armée depuis 21 ans, le sergent Bilodeau a été appelée en renfort pour les inondations.

« Quand j’ai vu à la télé que le Québec appelait l’aide fédérale, j’ai tout de suite commencé à préparer mon équipement », raconte le sergent Bilodeau.

Ses filles de 7 et 9 ans étaient déçues de voir leur mère partir pendant le congé de Pâques. « Je leur ai dit : “Il y a des gens qui perdent tout, ils ont plus besoin de maman que toi, en ce moment” », lance le sergent Bilodeau, fantassin du régiment des Fusiliers Mont-Royal.

Désastres en augmentation

Les réservistes forment près de la moitié des militaires déployés en ce moment pour les inondations au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique. Dans la grande région de Montréal, ils sont majoritaires au sein de l’équipe.

Si les réservistes ont toujours été appelés à renforcer les troupes régulières lors de sinistres au pays, l’appel à l’armée est devenu plus fréquent sur le sol canadien ces dernières années.

« Avec les incendies à Fort McMurray et [ailleurs] dans l’Ouest, les inondations de 2017 et de cette année, la tornade de la région d’Ottawa en septembre, on voit qu’il y a de plus en plus de désastres naturels qui se produisent ici, au Canada, ce qu’on ne connaissait pas auparavant. » — La brigadière-générale Josée Robidoux, directeur général, réserve et appui aux employeurs

« Je crois que tant que les gouvernements municipaux ou provinciaux n’ont pas les capacités à l’interne de subvenir à leurs besoins dans le cas de sinistres, la demande aux Forces armées canadiennes va augmenter », poursuit Mme Robidoux.

En 2017, le gouvernement canadien a lancé plusieurs initiatives pour la défense. Un certain nombre visait les réservistes. L’un des buts était d’augmenter la force de réserve de 2500 personnes, à 30 000 au total, alors qu’elle connaissait une décroissance. L’objectif est pratiquement atteint.

Victime des inondations

En servant si près de la maison, les réservistes se retrouvent parfois eux aussi touchés par les sinistres.

C’est le cas du caporal-chef David Demers-Lussier, qui habite à Rigaud, dans un secteur inondé. « Je ne me pose pas de questions. Je vais voir les dommages après », répond posément l’homme de 28 ans lorsqu’on l’interroge sur l’état de sa demeure. Il espère que les travaux réalisés après les inondations de 2017 auront réussi à limiter les dégâts cette fois-ci.

Le jeune homme est plus préoccupé par la situation de sa mère, à Pierrefonds, elle aussi dans un secteur inondé.

Son colocataire, le caporal Maxim Bogomazov, aussi réserviste, comptait d’abord protéger la demeure qu’ils habitent. 

« Je n’avais pas l’intention d’évacuer. Ce qui m’a fait évacuer, c’était le fait de venir en aide ici. » — Le caporal Maxim Bogomazov

Le caporal-chef Demers-Lussier a sa propre entreprise de coupe de bois et estime avoir perdu de l’argent en participant aux travaux de l’armée, même s’il s’attend à ce que ses clients soient compréhensifs.

Le travail civil

Pour les salariés, une loi en vigueur depuis 2008 au Québec prévoit qu’un employé dans la réserve peut s’absenter pour une opération militaire sans perdre son emploi.

N’empêche, des employeurs se retrouvent parfois avec tout un casse-tête en raison de ces absences imprévues, surtout dans des milieux où le manque de main-d’œuvre se fait sentir.

« Au début, mon employeur m’a donné une semaine », illustre l’adjudant Matthieu Levasseur, infirmier auxiliaire à Laval. Lorsque la digue de Sainte-Marthe-sur-le-Lac a cédé, son superviseur a accepté de prolonger son congé.

En 10 ans dans l’artillerie, il n’a jamais vu de zone de guerre. Mais il a vu son lot d’inondations au Québec, en 2011, 2017 et 2019.

« On est formés de façon optimale pour les zones de conflit, mais on est formés pour aider les gens », précise l’homme de 27 ans.

Une aide qui a été généralement bien accueillie, même si des résidants souhaitaient une aide plus individuelle, alors que l’armée avait pour mandat de protéger les installations publiques.

Une fois leur travail terminé, les réservistes rangeront leurs uniformes jusqu’à leurs prochaines obligations. Pour le sergent Annie Bilodeau, la transition n’est pas toujours facile. « Je trouve ça difficile, admet-elle. Ici, je donne des ordres, les gens écoutent. Après, je retourne à un monde de tout-petits où ils écoutent moins. »

N’empêche, elle sera bien contente de retrouver ses petites troupes.

Portraits de réservistes

Le Sergent Annie Bilodeau

PHOTO CAPORAL-CHEF JULIE TURCOTTE, FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Le sergent Annie Bilodeau

Lorsqu’Annie Bilodeau a voulu s’engager dans l’armée à 17 ans, sa mère a refusé de signer ses papiers. Aujourd’hui, elle a le titre de sergent, dans le régiment des Fusiliers Mont-Royal. À la fois enseignante en éducation physique et fantassin, elle est dans la réserve depuis 21 ans. Elle a participé à une opération en Bosnie, en 2004, et souhaiterait repartir. « Mes enfants sont encore jeunes, dit la mère de deux filles, de 7 et 9 ans. J’aimerais repartir, mais je fais le choix de rester. »

L’Adjudant Matthieu Levasseur

PHOTO CAPORAL-CHEF JULIE TURCOTTE, FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

L’adjudant Matthieu Levasseur

S’il est infirmier auxiliaire dans la vie civile, son rôle dans l’armée est tout autre : l’adjudant Matthieu Levasseur est dans l’artillerie, soit l’unité de destruction à distance. « Si quelqu’un a une écorchure, je peux aider, mais ce n’est pas mon rôle ici », dit l’homme de 27 ans du 2e Régiment d’artillerie de campagne. Dans le milieu de la santé, son choix surprend ses collègues. D’autant qu’il consacre une fin de semaine sur deux au travail, et les autres, à la réserve. « Personne, en santé, n’a le temps d’avoir deux jobs ! », lance-t-il en riant.

Le Cavalier Ross Vilfort

PHOTO CAPORAL-CHEF JULIE TURCOTTE, FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Le cavalier Ross Vilfort

Sur le terrain, le cavalier Ross Vilfort a reconnu des visages familiers. Son père est col bleu à Montréal et travaille lui aussi sur les inondations. « On ne s’est pas croisés, mais il y a des gens de l’arrondissement qui me connaissent depuis que je suis petit et qui me saluent », raconte l’homme de 27 ans, dans la réserve depuis deux ans. Membre de la section des soldats des blindés de la Royal Canadian Hussars, il travaille actuellement comme technicien en aéronautique dans la vie civile.

Le Caporal-chef David Demers-Lussier

PHOTO CAPORAL-CHEF JULIE TURCOTTE, FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Le caporal-chef David Demers-Lussier

Le caporal-chef David Demers-Lussier admet avoir « un peu menti » à ses parents lorsqu’il s’est joint à l’armée à 16 ans. « Je leur ai dit qu’on jouait dans le bois », confie l’homme de 28 ans, dans la réserve depuis 11 ans. Il ne regrette pas son choix ni celui de rester dans la vie civile : les compétences en charpenterie-menuiserie de celui qui a son entreprise de coupe de bois ont servi pour construire une digue ces derniers jours. Les inondations touchent de près ce résidant de Rigaud, commandant de section des fusiliers du régiment des Fusiliers Mont-Royal.

Le Caporal Maxim Bogomazov

PHOTO CAPORAL-CHEF JULIE TURCOTTE, FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Le caporal Maxim Bogomazov

Âgé de 21 ans, le caporal Maxim Bogomazov a quitté Tel-Aviv, en Israël, à l’âge de 9 ans. C’est par admiration pour son père, son « héros » en grandissant, qu’il a décidé de marcher sur ses pas et de s’inscrire dans l’armée. Plusieurs membres de sa famille élargie ont aussi servi en Union soviétique. Fantassin du régiment des Fusiliers Mont-Royal, il est dans la réserve depuis quatre ans et tente de passer le plus de temps possible à travailler pour l’armée, en cumulant les tâches, principalement au Québec.