Je ne suis pas le plus grand fan de Luc Ferrandez. Son attitude papale m’irrite au plus haut point. Quant à son obsession de faire du Plateau Mont-Royal un village-où-il-fait-bon-vivre dans une ville qui a surtout envie d’être une grosse ville, je trouve qu’elle trempe parfois dans l’exagération.

Le week-end dernier, le roi du Plateau a publié un message sur Facebook qu’il a dû retirer après s’être fait taper sur les doigts par Valérie Plante. Samedi matin, Luc Ferrandez a servi un « fuck you » bien senti et collectif à tous ceux qu’il rend responsables des résultats liés aux inondations.

« Fuck you, nous autres. On le sait qu’il ne faut pas construire en terrains inondables […] On sait tout ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire – et depuis longtemps. Mais nous sommes, citoyens et élus, des enfants-rois. Alors ce matin, à tout le monde : fuck you. Nous méritons amplement tous les malheurs qui nous arrivent et ceux bien plus grands que nous préparons – par lâcheté – pour nos enfants. »

CAPTURE D'ÉCRAN

La publication Facebook de Luc Ferrandez.

Quelques heures plus tard, le message était effacé et Valérie Plante offrait à certains médias cette explication : « On s’est parlé, il s’est excusé. Ce n’était pas le bon moment. »

On peut critiquer le ton et la vulgarité du message de Ferrandez. On peut aussi s’en prendre au véhicule utilisé, ce canal qui se passe de l’intervention de conseillers bienveillants et qui escamote toute période de réflexion.

Mais sur le fond, je dois avouer que Ferrandez a parfaitement raison. Il y a une dizaine de jours, je vous parlais de l’erreur, de la très grande erreur, que nous avons commise en mettant entre les mains des municipalités la responsabilité de mettre en valeur les terrains, y compris ceux qui sont au bord des cours d’eau. Sans distinction aucune, nous avons cédé, vendu et exploité ces espaces aujourd’hui recouverts d’eau. Pour la deuxième fois en 24 mois, nous en payons chèrement le prix.

C’est ça que Luc Ferrandez a voulu dire. Il l’a fait de manière brutale et maladroite, mais il l’a fait en nous rappelant qu’il faut cesser de toujours viser un seul coupable dans ce genre de chose et qu’il faut parfois s’attribuer collectivement certaines fautes. Voilà pourquoi le maire du Plateau-Mont-Royal a eu recours au « on » à neuf reprises dans sa courte missive.

Dans ce dossier, « on » aurait intérêt à reprendre les choses en main, à faire en sorte que les municipalités et le gouvernement cessent de se renvoyer éternellement le blâme. Samedi, dans un dossier sur le sujet, mon collègue Martin Croteau faisait dire à un expert que 700 municipalités québécoises seraient exposées à des risques d’inondation au cours des prochaines années ; 700 municipalités… ça fait peur !

Hier, lors d’un point de presse, François Legault a déclaré qu’il fallait « redéfinir » les zones inondables. « On » est d’accord, M. Legault ! « On » veut maintenant procéder et mettre fin à des décennies de laxisme dans ce dossier ! « On » est prêt, M. Legault.

Que se passe-t-il entre Ferrandez et Plante ?

Le message publié par Luc Ferrandez nous apprend également que ce pilier de Projet Montréal semble de plus en plus vouloir prendre ses distances par rapport à celle qui a été élue à la tête de la ville. Que faut-il comprendre de la phrase « on le sait qu’il ne faut pas construire deux stades » ? Même avec un café décaféiné, Ferrandez savait très bien qu’en écrivant cela samedi matin, dans la même publication sur Facebook, il défiait la position adoptée par Valérie Plante dans ce dossier.

Comme plusieurs médias l’ont rapporté en février dernier, la mairesse voit « d’un bon œil » ce projet et juge que le choix du bassin Peel serait même « intéressant » pour accueillir ce nouveau stade qui servirait au retour des Expos. Durant la même période, on a vu Valérie Plante, tout sourire, bras dessus, bras dessous avec Stephen Bronfman et d’éventuels promoteurs du projet.

Ce n’est pas la première fois, depuis les élections de novembre 2017, que Luc Ferrandez et Valérie Plante ont maille à partir. Souvenez-vous des commentaires du premier sur « l’amateurisme » du budget présenté par la seconde. La mairesse avait alors gentiment dit à son confrère de « fermer sa grande gueule ».

Un an et demi après que le parti a été porté au pouvoir, qu’est-ce qui a changé entre Ferrandez et Plante ? Que se passe-t-il entre eux ? Celui qui se fait un devoir de multiplier les placotoirs dans son arrondissement serait-il pris avec des œillères ? Celle qui a été élue mairesse de Montréal serait-elle devenue trop… mairesse ? S’éloignerait-elle de la philosophie de son propre parti ?

En tout cas, ces deux-là devront mettre certaines choses au clair. Ils sont dus pour une bonne conversation. Sans gros mots. Et à l’ombre d’un placotoir.

Trudeau et le Photomaton

C’est bien connu, Justin Trudeau aime paraître sous les caméras et les appareils photo. Il est sans doute le premier ministre le plus « Kid Kodak » de l’histoire du pays. Mais cette irrépressible envie de briller lui joue parfois des tours, comme samedi dernier lorsqu’il s’est rendu remplir des sacs de sable avec ses deux fils dans une zone inondée de la région d’Ottawa.

À l’instar d’autres élus, Trudeau est débarqué avec son équipe et, « pour faire de belles images », a rempli quelques sacs. Mais vous savez comment c’est lors d’une telle intervention. « Regardez ici, M. Trudeau ! Soulevez la pelle, M. Trudeau ! Une autre fois, M. Trudeau ! » Ajoutez à cela d’importantes mesures de sécurité qui paralysent tout.

Ce qui aurait dû être un coup de main précieux est plutôt devenu une opération de relations publiques lourde et encombrante pour l’équipe de bénévoles. Écœuré de voir que ce manège retardait la machine, un bénévole ne s’est pas gêné pour aller le dire au premier ministre.

« Vous savez depuis combien de temps vous retardez les gens qui veulent prendre des sacs de sable ? J’attends depuis 30 minutes pendant que vous êtes en train de vous la couler douce », lui a balancé au visage le citoyen ulcéré.

Il est vrai que la présence des élus dans de telles circonstances est souvent souhaitée. Mais, de grâce, demandons aux élus de jouer leur rôle d’élus, de venir constater l’ampleur des dégâts, de venir rassurer les victimes. Et oublions les mises en scène qui « font de belles images ».

Dimanche matin, Valérie Plante et quelques élus se sont rendus à l’île Bizard. Ils ont prêté main-forte aux sinistrés. Tout cela en l’absence de caméras et d’appareils photo. « On préfère faire des points de presse de façon claire. On ne doit pas faire de “photo op” avec le reste », m’a dit hier Geneviève Jutras, porte-parole de Valérie Plante.

Le drame que vivent en ce moment des sinistrés n’est pas un Photomaton pour les élus. On devrait le leur rappeler. Et aussi dire à Justin Trudeau que ce procédé, « ça ne fait pas tellement 2019 ».