L’histoire donne envie de hurler. Et c’est exactement ce qu’a fait Thomas lorsqu’on a dû lui annoncer, alors qu’il rentrait de l’école, qu’il venait d’y passer sa dernière journée. Il a fait une crise qui a nécessité l’intervention de la police et une hospitalisation d’urgence.

Thomas a 11 ans. Il est en sixième année. Un enfant intelligent qui vient d’avoir un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme, après une année scolaire éprouvante marquée par de nombreuses crises.

L’école Saint-Jean-Vianney que fréquentait l’enfant n’ayant pas les ressources pour bien l’accompagner, il avait été convenu qu’il valait mieux pour Thomas qu’il soit redirigé vers une école disposant de ressources professionnelles mieux adaptées à ses besoins.

Les parents de Thomas, eux-mêmes à bout de souffle, étaient d’accord que le statu quo était intenable. Ils étaient prêts à faire tout ce qu’il faut pour le bien de leur fils, qui a aussi un TDAH et un trouble de l’opposition. Sa mère, Rosa Pires, a abandonné un important contrat de travail pour pouvoir gérer à temps plein ses problèmes liés à l’école.

Prêts à envisager un changement d’école, les parents attendaient que la Commission scolaire de Montréal (CSDM) leur présente un plan d’intervention afin que la transition se fasse en douceur.

Mais ce plan est plutôt arrivé la semaine dernière comme « un coup de poing dans la gueule », raconte Benoît Riopel, père de Thomas.

Lundi après-midi, le 15 avril, il a reçu un appel de la directrice pour lui annoncer que son fils quitterait son école du quartier Rosemont pour être envoyé à l’école Pierre-Dupuy, dans le quartier Centre-Sud, où il aurait droit à des services professionnels mieux adaptés à ses besoins. Pour cela, le père était soulagé. Jusqu’à ce qu’il comprenne que la « transition en douceur » que devait, en principe, mettre en place la CSDM était pour le moins brutale.

« Thomas commencera dans sa nouvelle école mardi prochain et ce sera sa dernière journée avec nous aujourd’hui.

– OK ! ? Vous êtes conscients que Thomas est Asperger ? On a besoin de plus de temps pour le préparer. Le connaissant, il est capable de se rendre à votre école demain matin, de tous vous envoyer promener et d’aller s’asseoir à sa place dans la classe, en refusant d’en décoller.

– Je comprends, mais Thomas ne peut pas revenir à l’école. S’il vient, nous n’aurons d’autre choix que d’appeler la police. »

Forcés d’annoncer de façon précipitée la nouvelle à leur fils à son retour de l’école, les parents se sont assurés de peser chacun de leurs mots. Ils ont tenté de mettre de l’avant le côté positif de la nouvelle. Une nouvelle école. Un nouveau départ. C’était peine perdue. Ce qui devait arriver arriva. Le père n’a même pas eu le temps de finir sa phrase que l’enfant était en crise. Police. Ambulance. Direction : l’hôpital Sainte-Justine, où Thomas a été hospitalisé.

Le soir même, alors qu’il était au chevet de son fils, Benoît Riopel a lancé un cri du cœur sur Facebook. « Hey ! ! Bravo le système d’éducation québécois ! ! ! Je suis découragé, dégoûté et révolté », a-t-il écrit, en racontant le coup de poing au visage que la famille avait reçu.

Dans le préambule de son statut Facebook, Benoît Riopel, qui connaît beaucoup de gens dans le milieu politique – il a notamment été attaché politique au Parti québécois et a déjà côtoyé Jean-François Roberge à l’université, alors que Rosa Pires a été candidate pour Québec solidaire –, invitait ses amis du milieu politique à lire son message. L’histoire a vite rebondi à l’Assemblée nationale. Le message a interpellé la députée libérale Marwa Rizqy, qui a questionné à ce sujet le ministre de l’Éducation. « Ça n’a pas de bon sens », a lancé d’emblée le ministre Roberge, en précisant qu’il allait vérifier avec la CSDM ce qui s’était passé.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation

« Des enfants qui ont un trouble du spectre de l’autisme ont besoin d’être accompagnés, d’être encadrés. Ils sont vulnérables à des changements de routine. Ça se peut, un transfert d’enfant, des fois, pour son plus grand bénéfice, parce que c’est de ça qu’il a besoin, parce qu’il aurait plus de services ailleurs, peut-être. Mais c’est quelque chose qui se prépare avec la famille, avec les enfants, avec des professionnels. Le problème, c’est que parfois on manque de professionnels, hein ? Vous savez que le précédent gouvernement en a mis à la porte, de ces professionnels qui accompagnent les jeunes », a dit le ministre, en promettant l’ajout de plus 600 professionnels dans les écoles dès septembre prochain.

À la suite de l’intervention du ministre Roberge, tout est rentré dans l’ordre pour Thomas. La CSDM s’est excusée. Des rencontres avec les parents et tous les intervenants ont été organisées pour mettre en place un réel plan de transition. Le porte-parole de la CSDM, Alain Perron, me dit qu’il semble y avoir eu au départ une « incompréhension du processus proposé ». « Pour nous, il était clair que la transition devait s’effectuer de façon progressive. »

Mais si c’était si clair, pourquoi avoir d’abord proposé à la famille une « transition » aussi abrupte ? Voilà qui n’est pas parfaitement clair.

Pour Thomas, malgré le traumatisme entraîné par la décision précipitée de la CSDM, tout est bien qui finit relativement bien. Il a eu son congé de l’hôpital jeudi dernier. Toute une équipe de professionnels l’épaulera et épaulera ses parents pour veiller à son épanouissement et à sa réussite.

Mais combien d’autres élèves se retrouvent chaque année naufragés d’un système scolaire qui ne tient pas ses promesses ? demandent Rosa Pires et Benoît Riopel.

« On a reçu au moins une centaine de messages de gens qui vivent une situation semblable. C’est incroyable le nombre de jeunes qui se font mettre à la porte de leur école sans avoir aucun recours. »

Ce serait rassurant de penser que l’histoire de Thomas est un cas isolé et que l’affaire est classée. Le fait est que c’est le genre d’histoire qui se produit trop souvent. L’an dernier, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qualifiait la situation d’alarmante, au terme d’une étude systémique sur l’organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA). On compte 200 000 élèves HDAA au Québec, soit environ 20 % de tous les élèves. Environ 40 % d’entre eux quittent le secondaire sans diplôme ni qualification, un taux de trois à quatre fois plus élevé que pour les élèves dits « réguliers ».

En principe, l’école doit assurer le respect du droit à l’égalité de tous les élèves. Dans les faits, la situation des élèves HDAA ne s’est pas améliorée depuis 20 ans et leurs droits sont trop souvent bafoués. L’étude témoigne d’un essoufflement généralisé du personnel des commissions scolaires et de nombreux dysfonctionnements préjudiciables pour les élèves. Elle fait écho aussi à l’essoufflement des parents qui tentent de se frayer un chemin dans ce système dysfonctionnel et se sentent peu informés des décisions entourant la scolarisation de leur enfant.

Alors que faire ? La bonne volonté ne suffit pas, observait la Commission des droits de la personne. Ce qu’il faut, c’est un sérieux coup de barre du ministère de l’Éducation pour notamment soutenir le personnel scolaire, mieux le former et lui offrir les ressources professionnelles nécessaires afin de favoriser le respect des droits de tous les élèves. Car ce sont eux, ultimement, qui paient le prix de ce système injuste et dysfonctionnel.

C’est la raison pour laquelle les parents de Thomas ont voulu me rencontrer, malgré l’inquiétude et l’épuisement. Leur priorité, c’est bien sûr leur fils. « Mais si jamais cela peut aider pour dénoncer collectivement un système scolaire sans ressources, à bout de souffle, qui est rendu à utiliser nos enfants comme boucs émissaires pour se faire entendre… » me dit la mère de Thomas.

Elle souhaiterait que le gouvernement Legault consacre à l’adaptation scolaire un budget approprié au lieu de croire à la magie des maternelles 4 ans. Pour le bien de toutes les familles moins privilégiées dont les hurlements inaudibles ne résonneront jamais jusqu’à l’Assemblée nationale.

Consultez l’étude de la CDPDJ.