(Montréal) Alors que les rivières sont sous haute surveillance à travers la province, des experts préviennent que les Québécois devront urgemment repenser leur rapport à l’eau et à l’aménagement du territoire.

Alexandrine Bisaillon, chercheuse pour le consortium Ouranos, soutient que la province a été fondée sur la croyance selon laquelle l’eau peut être maîtrisée.

Au 17e siècle, ses terres étaient souvent divisées en rangs avec un accès à l’eau et plus de trois siècles plus tard, le développement de son énorme potentiel hydroélectrique a permis de propulser le Québec dans la modernité. Mais il fait maintenant face à des choix difficiles.

Le professeur en environnement et en économie Jason Thistlethwaite, de l’Université de Waterloo, affirme que les changements climatiques ne feront qu’exacerber les inondations.

En hiver, les hausses soudaines des températures aussitôt suivies de vagues de froid augmentent le risque que la glace s’accumule sur les rivières et forme un embâcle, retenant l’eau à l’image d’un barrage. Lorsque cette glace commence à fondre et à se déplacer, il y a rupture du barrage. C’est exactement ce qui s’est produit à Beauceville plus tôt cette semaine, où la rivière Chaudière est sortie de son lit et au moins 230 bâtiments ont été inondés.

Même si les terrains en bordure d’un cours d’eau sont souvent considérés comme des emplacements de choix, M. Thistlethwaite estime qu’il est maintenant temps de « laisser place à la rivière ».

Plutôt que de voir la rive comme un endroit où construire des restaurants et des résidences avec une vue imprenable, les Québécois devraient selon lui restituer ces zones à la nature et les transformer en parcs, en espaces publics ou encore en installations sportives estivales.

Le nouveau programme gouvernemental d’aide financière aux sinistrés s’aligne avec cette approche, précise M. Thistlethwaite.

En vertu des nouvelles règles annoncées le 15 avril dernier, les victimes d’inondations récurrentes pourront toucher une compensation totale équivalant à la moitié de la valeur de leur maison, avec un plafond de 100 000 $. Une fois la somme maximale atteinte, les sinistrés ne pourront plus réclamer de compensation pour les dommages subis par leur maison, mais se verront offrir jusqu’à 200 000 $ pour se réinstaller hors d’une zone inondable.

M. Thistlethwaite qualifie ces nouvelles dispositions de « très progressistes » et estime qu’elles devraient être exportées ailleurs au Canada.

« L’eau est un bien public, renchérit Alexandrine Bisaillon. Mais nous en avons privatisé l’accès. Est-ce qu’on peut saisir cette occasion pour rendre l’eau au public ? »

Au-delà des changements climatiques

Le géomorphologue Jean-Claude Thibault reconnaît que les dérèglements du climat donnent lieu à des fontes plus « brutales », mais à ses yeux, l’utilisation irréfléchie des sols apporte aussi une explication à ne pas négliger.

De mauvaises pratiques agricoles, forestières et urbaines ont « exagéré la violence des fontes » en dévégétalisant les sols, expose M. Thibault, président de la coopérative de protection de l’eau RAPPEL.

Il cite en exemple les cultures intensives et les coupes à blanc, dont les dommages seraient pourtant remédiables grâce à des techniques « très, très simples », tels que le recours à des espèces d’ivraie pour stabiliser les sols.

Il exhorte le gouvernement à mettre en place un programme national de gestion des eaux de ruissellement. Des investissements pour adapter l’équipement agricole et forestier, par exemple, s’avéreraient selon lui rapidement rentables, au regard des coûts élevés des inondations.

« Il s’agit rien que de voir un petit peu plus loin que son nez. C’est la tâche d’un gouvernement de voir à ça », plaide-t-il.

Il blâme d’ailleurs les municipalités pour avoir permis à des citoyens de s’installer sur les rives, dans des zones pourtant conçues pour absorber les débordements d’eau. En ville, la bétonnisation systématique forcera bientôt les autorités à renverser la vapeur et à « désartificialiser » des zones, prédit-il.