C’était un secret de Polichinelle que le juge Clément Gascon ne se rendrait pas jusqu’à l’âge obligatoire de la retraite à la Cour suprême – 75 ans. Pour cet homme de famille, l’exil, même temporaire, à Ottawa pesait plus que pour d’autres.

Mais personne n’avait pensé qu’il ne resterait que cinq ans et annoncerait sa retraite à 59 ans, lundi dernier. Dans son cas toutefois, les proverbiales « raisons familiales » ne sont pas des mots de convenance.

En Clément Gascon, la Cour suprême du Canada perd un de ses piliers intellectuels. S’il est un illustre inconnu du public, le juriste studieux et productif est une sorte de vedette discrète et modeste du monde juridique depuis longtemps.

Il n’est pas de ceux qui font les manchettes pour des décisions révolutionnaires, ni encore moins pour une gaffe, un mot de travers. C’est un travailleur de fond.

Nommé par le gouvernement libéral à la Cour supérieure en 2002, il a ensuite été nommé par le gouvernement conservateur à la Cour d’appel en 2012 et à la Cour suprême en 2014.

La seule controverse à laquelle il a été mêlé, involontairement, est celle entourant la nomination avortée du juge Marc Nadon. Ce juge surnuméraire de la Cour fédérale avait été nommé comme juge du Québec (la loi prévoit trois postes sur neuf pour des Québécois). Mais la Loi sur la Cour suprême laissait planer un doute sur la possibilité de nommer un juge de cette cour à la Cour suprême. La Cour a tranché que la nomination était illégale et l’a annulée. Pendant 10 mois, le poste n’a pas été pourvu, jusqu’à ce que finalement Clément Gascon soit désigné.

Humilié, le gouvernement Harper, pourtant averti de l’enjeu juridique (sans parler de la faible réputation du juge Nadon), avait calmé le jeu en choisissant Clément Gascon, un candidat « au-dessus de tout soupçon ».

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Qui va prendre la place du juge Gascon ? Un nom est tout en haut de la liste : Nicholas Kasirer, nommé juge à la Cour d’appel en 2009 par le gouvernement Harper. Ancien doyen de la faculté de droit de McGill, parfait bilingue, formé à Paris et à Toronto, il jouit d’une grande réputation parmi ses pairs.

Certains plaident pour que le prochain juge vienne de Québec (Simon Ruel, Jocelyn Rancourt, Julie Dutil…), suivant une antique tradition voulant qu’un des trois juges du Québec soit issu du barreau local.

Mais une source influente au palais de justice de la Vieille Capitale a immédiatement nommé le juge Kasirer comme candidat de choix, non seulement pour ses qualités intellectuelles, mais aussi pour ses habiletés sociales. « Il est très apprécié à Québec et fait le pont entre Montréal et Québec. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA COUR D'APPEL DU QUÉBEC

Le juge Nicholas Kasirer

Parmi les autres noms qui circulent : la juge Marie-France Bich, de la Cour d’appel, ancienne prof de droit à l’Université de Montréal et pressentie depuis longtemps ; Marie-Josée Hogue, aussi de la Cour d’appel ; Manon Savard, également de la Cour d’appel du Québec ; tout comme leur collègue Robert Mainville, qui a fait carrière en droit autochtone, particulièrement auprès des Cris. Léger hic : avant d’être à la Cour d’appel, il était à la Cour fédérale, où il n’a pas dû apprécier le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Nadon « bannissant » les juges québécois de cette cour – un rare jugement non signé, mais qui porte clairement la patte de l’actuel juge en chef Richard Wagner.

La démission du juge Gascon est effective le 15 septembre, ce qui laisse amplement le temps au gouvernement Trudeau de choisir et de nommer son successeur avant les élections générales.