Le cannabis vendu sur ordonnance à des fins médicales coûte de 20 à 40 % de plus que des produits comparables vendus par la Société québécoise du cannabis (SQDC) à des fins récréatives. Et pourtant, l'industrie du cannabis reconnaît que ce sont dans certains cas exactement les mêmes produits, même s'ils sont commercialisés sous un autre nom.

Une comparaison des prix réalisée par la clinique Santé Cannabis de Montréal et par La Presse révèle même des écarts de prix pouvant atteindre 77 %, à la faveur du marché récréatif. Il est toutefois difficile de savoir si ce sont des plants issus exactement des mêmes récoltes, puisque les producteurs utilisent des noms différents sur le marché médical et sur le marché récréatif. 

« C'est incontestablement très frustrant de voir qu'un produit utilisé comme médicament coûte plus cher qu'un produit qui sert à se divertir. Ça devrait être le contraire. Ce n'est pas juste que les patients aient à payer une sorte de taxe pour se soigner », déplore Rebecca Fogel. 

La jeune femme de 24 ans, qui souffre de la maladie de Crohn depuis l'âge de 16 ans, doit débourser quelque 1500 $ par mois pour acheter les 150 grammes de cannabis médicinal sous forme d'huile et de fleurs séchées que lui prescrit son médecin. Avant de l'utiliser, elle était traitée avec des opioïdes qui la rendaient complètement amorphe et inapte au travail. 

« Je vivais enfermée dans le sous-sol chez mes parents. Le cannabis m'a rendue fonctionnelle et m'a sauvée d'une vie très sombre. »

- Rebecca Fogel

« Mais à 1500 $ par mois, je ne peux que me payer la moitié de ce dont j'ai besoin. C'est vraiment très cher », dit la patiente, que la clinique Santé Cannabis a embauchée comme réceptionniste pour lui donner un coup de main. 

Pour l'heure, une infime minorité de Québécois ont une assurance médicaments qui couvre l'achat de marijuana thérapeutique. Hormis quelques rares cas à la SAAQ et à la CNESST, le régime public ne rembourse pas le cannabis. L'ouverture des succursales de la SQDC, qui a établi des prix très bas pour faire concurrence au marché noir, vient mettre en lumière l'absence de contrôle des prix exercés par les producteurs de cannabis sur le marché médical. 

« UN ENCADREMENT PLUS ROBUSTE »

Chez Hexo, le principal fournisseur de la SQDC, la souche Sierra est par exemple vendue 6,40 $ le gramme, toutes taxes comprises, dans les magasins de la société d'État. Un produit médicinal aux caractéristiques semblables (taux de CBD plus élevé que celui de THC) se détaille 10 $ le gramme sous le nom Passion Fruit sur le site médical de l'entreprise. La différence est de 56 % à la faveur du produit récréatif. 

MedReleaf, autre producteur réputé sur le marché thérapeutique, vend quant à lui une souche de Delahaze à très haut taux de THC sous le nom de Luminarium à ses patients. Prix : 12,50 $ le gramme pour les malades. À la SQDC, où MedReleaf commercialise sa marijuana sous la marque récréative San Rafael '71, le Delahaze aux caractéristiques identiques coûte 10,40 $ le gramme. C'est un écart de 20 %. 

Des différences semblables sont observées chez les producteurs Canopy Growth, Aphria, Aurora et Tilray. 

La porte-parole de Hexo, Isabelle Robillard, reconnaît que dans certains cas, ce sont exactement les mêmes produits. Selon elle, la différence de prix s'explique par le plus grand degré d'encadrement du cannabis vendu à des fins médicales. « Dans le marché récréatif, le consommateur est davantage laissé à lui-même. Il y a un encadrement beaucoup plus robuste du côté médical », souligne-t-elle. 

« Nous devons nous assurer que dans les dossiers médicaux, les ordonnances sont valides, et chaque commande est traitée de façon individuelle par un employé qui s'assure que la posologie de chaque patient est conforme. Les patients ont accès à un service de suivi 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le soutien est beaucoup plus grand », ajoute-t-elle. 

PAS DE POUVOIR DE NÉGOCIATION

Mais pour la clinique Santé Cannabis, l'ampleur de l'écart de prix est difficile à expliquer. « C'est en grande partie nous qui faisons les suivis et nous assurons que la posologie est respectée », dit Nadia Kvacik, gestionnaire de la clinique. 

 « Cela démontre que les patients n'ont vraiment pas de grand pouvoir de négociation en comparaison de la SQDC », déplore pour sa part Guillaume Fortin, coordonnateur infirmier à la clinique. 

Il suggère d'ailleurs que le gouvernement québécois mette sur pied un « groupe d'achats groupés » pour donner un meilleur levier aux patients. 

« Nous nous inquiétons du fait que les patients risquent d'être poussés à se fournir à la SQDC pour leurs besoins médicaux en raison des meilleurs prix, et qu'ils n'y retrouvent pas les produits dont ils ont besoin pour traiter leur [affection], car ils seront alors en compétition avec les clients récréatifs. »

- Guillaume Fortin

Pour le chercheur Marc-André Gagnon, spécialiste des politiques de santé publique à l'Université de Carleton, il est à peu près certain que les patients médicaux iront éventuellement s'approvisionner à la SQDC si l'écart reste le même. « Je ne serais pas surpris que l'arrivée de la SQDC conduise à une réduction de prix dans le marché médical, croit-il. La légalisation va faire le ménage. Ça offre une option crédible », croit-il. 

Mais c'est là une avenue que Rebecca Fogel ne souhaite pas emprunter. « Je ne veux pas aller acheter mes médicaments à la SQDC. Je fais hautement confiance aux producteurs autorisés avec qui je fais affaire. Je trouve que leurs produits et leurs services sont excellents, même si je trouve que la différence de prix avec le marché récréatif est injuste », estime-t-elle.