À la fin d'août, un haut diplomate du Vatican a publiquement accusé le pape François d'avoir toléré les agressions sexuelles d'un ex-archevêque de Washington. La lettre de Carlo Maria Viganò accusait en outre une trentaine d'autres prélats, dont le cardinal québécois Marc Ouellet.

LES ACCUSATIONS

Mgr Viganò, dans sa lettre, affirme que Marc Ouellet lui a parlé au téléphone en novembre 2011 pour l'informer que le pape Benoît XVI avait imposé au cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington, des sanctions à cause de relations intimes que Mgr McCarrick entretenait avec de jeunes hommes du séminaire où il habitait dans la capitale américaine. Plus loin dans sa lettre, Mgr Viganò accuse Mgr Ouellet d'avoir « couvert les méfaits de McCarrick » en tolérant que ces sanctions soient levées après l'élection du pape François, parce que le prélat québécois était préfet de la Congrégation pour les évêques. Une trentaine d'autres prélats, en plus du pape, sont accusés de ne pas avoir sévi contre Mgr McCarrick, qui a été formellement accusé d'agression sexuelle remontant à la fin des années 60 par un tribunal canonique du Vatican en juin dernier.

QUI EST Mgr VIGANÒ ?

Mgr Viganò a fait carrière dans la diplomatie vaticane, en Afrique et à Rome, avant son dernier poste comme nonce apostolique (ambassadeur) à Washington. Il avait été mêlé à l'affaire Vatileaks, à la fin du pontificat de Benoît XVI, une cabale de conservateurs accusant notamment l'élite du Vatican de participer à des orgies homosexuelles. « Viganò semble avoir perdu son poste parce qu'il a organisé, en 2015 lors d'un voyage papal à Washington, une rencontre entre François et Kim Davis qui a monopolisé les manchettes », explique Philippe Vaillancourt, rédacteur en chef de Présence, un média spécialisé en information religieuse pour le Québec. Kim Davis est une fonctionnaire du Kentucky qui a été emprisonnée après avoir refusé d'enregistrer des mariages homosexuels, peu avant la visite papale.

LA RÉACTION DU PAPE...

« Lisez la lettre avec attention et jugez par vous-même. Je ne dirai pas un mot sur cela. » Questionné par les journalistes dans l'avion le ramenant à Rome d'un voyage officiel en Irlande, le pape François a catégoriquement refusé de commenter les accusations de Mgr Viganò, qui affirme l'avoir personnellement averti des accusations contre Mgr McCarrick après son élection en 2013. Quelques jours plus tard, dans une homélie, il a déclaré : « Face aux gens qui manquent de bonne volonté, qui ne cherchent que le scandale et la division, qui ne veulent que la destruction, la meilleure réponse est le silence et la prière. »

...ET CELLES DES AMÉRICAINS

Aux États-Unis, une douzaine d'archevêques ont pris position sur la crédibilité de Mgr Viganò, selon un décompte du site d'information catholique CruxNow. Les réactions vont d'un appui ferme - « J'ai trouvé son service marqué par l'intégrité », a indiqué l'archevêque de Philadelphie Charles Chaput - à un rejet catégorique - enquêter sur les allégations de Viganò équivaudrait à s'aventurer « dans un terrier de lapin », a dit l'archevêque de Chicago Blase Cupich.

FRANÇOIS ET Mgr OUELLET

La Presse a envoyé une demande d'entrevue à Mgr Ouellet à son adresse personnelle du Vatican, mais n'a pas eu de réponse. Mais son silence ne doit pas être interprété comme un appui à Mgr Viganò, selon Philippe Vaillancourt. « On a beaucoup parlé d'un froid entre François et Mgr Ouellet, mais s'il avait voulu, en cinq ans, le pape aurait pu nommer un nouveau préfet de la Congrégation pour les évêques. Certains ont interprété une lettre de François à Mgr Ouellet en 2016, où il critiquait le cléricalisme, comme un désaveu. Mais l'année suivante, Mgr Ouellet a été s'adresser aux évêques canadiens et a fait une défense en règle de l'exhortation apostolique Amoris Laetitia. » Ce document de François est souvent critiqué dans les milieux conservateurs parce qu'il ouvre la porte à la communion pour les divorcés qui se sont remariés civilement.

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LES ÉVÊQUES QUÉBÉCOIS


La Presse a contacté quatre évêques québécois, dont seulement deux ont accepté de commenter les accusations de Mgr Viganò.

« À l'instar du pape François, le cardinal Lacroix ne souhaite pas commenter pour l'instant la lettre de l'archevêque Carlo Maria Viganò. Nous espérons que la lumière se fasse au sujet de toutes les allégations qu'elle contient par souci de justice et de vérité. » - Gérald Cyprien Lacroix, Québec (par l'intermédiaire de son directeur des communications, Jasmin Lemieux-Lefebvre)

« L'archevêque ne prendra pas des entrevues en ce moment. Il serait plutôt disponible une fois que le document de l'assemblée d'évêques sera publié cet automne. » - Christian Lépine, Montréal (par l'intermédiaire de sa directrice des communications, Erika Jacinto)

« C'est extrêmement troublant. Il y a tellement de choses dans cette lettre que je me sens incompétent pour juger et dire qui a raison et qui a tort. La vérité se doit d'être faite, mais je ne la mets pas uniquement du côté de Mgr Viganò. Il y a sûrement des gens coupables, mais il suggère tellement de noms que je me dis qu'il doit y en avoir là-dedans qui sont accusés ou critiqués faussement. » - Lionel Gendron, Longueuil

« Je n'ai pas lu la lettre de Mgr Viganò et ne savais pas que Mgr Ouellet y était nommé ou critiqué. Je sais que Mgr Viganò critique de nombreux prélats qui se défendent et protestent qu'il se trompe dans ses allégations. Tout ce que je sais de l'affaire Viganò, je l'apprends dans les journaux. J'ai bien de la difficulté à voir où se trouve la vérité dans tout ça : les opinions surabondent, sans que personne se fonde sur des faits vérifiés. Je ne pourrais pas vous aider à élucider les faits, et je n'ai pas le goût d'ajouter encore une autre opinion. » - Paul-André Durocher, Gatineau

PHOTO ANDREW MEDICHINI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le cardinal Marc Ouellet, en 2013