La situation des autochtones au Canada - notamment leur relation avec la police - empêche d'exclure que certains d'entre eux puissent devenir des réfugiés à l'étranger, a écrit un juge québécois de la Cour fédérale dans une décision récente.

Ce n'est pas seulement dans de lointains pays du tiers-monde que des individus ne reçoivent pas une protection adéquate de l'État, a souligné le juge Sébastien Grammond, récemment nommé à la magistrature après une carrière de professeur de droit.

Il ne faut pas « présum[er] que des événements ayant lieu au Canada ne pourraient jamais constituer le fondement d'une demande d'asile dans un autre pays », a écrit le juge Grammond dans une décision dont la traduction française vient d'être publiée.

« [On ne doit] pas banaliser la situation des peuples autochtones ni présumer qu'une protection adéquate leur est toujours accordée. »

- Le juge Sébastien Grammond

Sébastien Grammond se penchait sur l'appel d'une petite Hongroise de 8 ans, d'origine rom et chinoise, qui demandait le statut de réfugié au Canada. Sa mère a fait valoir qu'elle avait été victime d'agressions sexuelles commises par son père, mais que la police locale avait négligé de faire enquête pour des raisons racistes.

En refusant sa demande, le commissaire à l'immigration Pasquale A. Fiorino, de Toronto, avait déterminé que la protection offerte par l'État à ses citoyens (notamment ceux issus de populations minoritaires comme les Roms) n'avait pas à être parfaite.

« Je suis certain que plusieurs membres des Premières Nations du Canada citeraient facilement des attitudes discriminatoires à leur égard dans notre propre pays. C'est peut-être vrai », a écrit le décideur en faisant une liste d'événements où des policiers canadiens ont dérapé. « Cependant, cela ne signifie pas que le Canada ne procure pas de protection aux membres de ses Premières Nations. Tout comme la Hongrie. » Il a refusé la demande de la fillette.

« TROUBLANT »

La Cour fédérale qualifie ce passage de « particulièrement troublant ». « Les préoccupations actuelles en ce qui concerne la relation entre les peuples autochtones et la police sont à un point où les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont lancé une enquête publique », continue le juge Grammond, qui était notamment spécialiste du droit constitutionnel et du droit autochtone durant sa carrière de professeur.

Une recherche montre que le commissaire Pasquale A. Fiorino a débouté au moins une douzaine de demandeurs du statut de réfugié en se basant sur le même paragraphe, mot pour mot. Une enquête du Toronto Star de 2011 affirmait qu'il faisait partie des trois commissaires donnant le moins souvent raison aux demandeurs du statut de réfugié, sur les 150 décideurs que compte le pays.

« Un autochtone pourrait aller en France et demander l'asile politique en disant que le Canada ne le protège pas. Ce n'est pas parce que l'ensemble des autochtones canadiens ne sont pas tués à tous les coins de rue qu'il n'a pas besoin de protection. »

- Jean-Sébastien Boudreault, président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration

M. Boudreault ne s'est toutefois pas prononcé sur les chances qu'une telle demande soit acceptée.

« Il ne faut pas fermer la porte à ça, mais à ma connaissance, ça n'a jamais été évalué », a-t-il ajouté.

L'Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador n'a pas souhaité commenter cette décision.

L'avocate de la jeune fille, Me Maureen Silcoff, a dit ne pas pouvoir discuter publiquement du dossier parce que sa cliente est mineure.