Une chaîne de boutiques érotiques qui a lancé un faux parti politique, allant même jusqu'à réserver un nom officiel à un mois du déclenchement de la campagne électorale provinciale, fait l'objet d'une enquête par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), a appris La Presse canadienne.

Dans la liste des «noms réservés» pour la création d'éventuels partis politiques disponible sur le portail web du DGEQ, on retrouve le Parti rose Éros. Le nom a été réservé le 6 juin 2018 par Jacques Provost.

D'après le registre des entreprises, M. Provost est deuxième actionnaire et secrétaire-trésorier de la chaîne de boutiques Éros et compagnie.

Celle qui est présentée comme la «chef» de ce faux parti, Anne-Marie Ruel, est directrice des présentations à domicile chez Éros et compagnie. En entrevue, la jeune femme reconnaît que la démarche n'a rien à voir avec la politique et qu'il n'a jamais été question de créer une véritable formation.

«Ce qu'on fait, c'est vraiment une campagne marketing pour promouvoir la santé sexuelle des hommes et des femmes à travers les présentations à domicile partout au Québec», explique-t-elle. Les organisateurs de la campagne voulaient simplement «aller jusqu'au bout du thème» en réservant un nom de parti.

Il s'agit d'une démarche administrative très simple qui permet de réserver une appellation durant six mois. Les seules conditions sont que le nom ne doit pas contenir le mot «indépendant» et qu'il ne doit pas créer de confusion par rapport à un parti existant.

«On ne va pas siéger à l'Assemblée nationale et il n'y aura pas de vote pour le Parti rose», ironise Mme Ruel.

Une page Facebook qui porte le nom «Élections 2018 - Parti Rose» mentionne que la mission de ce parti fictif est «L'émancipation et la promotion de la santé sexuelle de la femme».

Toutefois, la page en question, qui compte quelque 500 membres, sert principalement de plateforme de concours promotionnels où les visiteurs peuvent remporter des objets érotiques.

En date du 12 juillet, une publication opposait la «Dre du Point G» au Dr Gaétan Barette, actuel ministre de la Santé et candidat du Parti libéral du Québec. Les visiteurs de la page étaient invités à «aimer» et à partager la publication afin de courir la chance de remporter une petite culotte ou un vibrateur.

Malgré ces clins d'oeil au gouvernement - on retrouve aussi le premier ministre Philippe Couillard sur la page web du faux parti - Anne-Marie Ruel assure que le but n'est pas de dénigrer le processus démocratique.

«On n'a pas d'objectif de détruire la réputation de quiconque, loin de là. On ne veut pas dénigrer les partis politiques, même qu'on souhaite que les électeurs votent à la prochaine élection», assure-t-elle, disant simplement s'inspirer de l'actualité comme lors d'une précédente campagne utilisant le concept des Jeux olympiques.

«On ne veut pas faire une moquerie ou une satire, on veut mettre de l'avant la santé sexuelle des hommes et des femmes», renchérit-elle.

Le site web met aussi en scène toute une équipe fictive de candidates. On y retrouve même une chef et un cabinet des ministres plutôt inhabituel avec une future «Ministre de l'énergie et des plaisirs naturels» et une ministre du «perfect body» qui promet que «les stéréotypes tomberont et que chaque cicatrice inspirera la beauté du corps».

Encore une fois, cette plateforme web sert d'abord d'outil publicitaire pour la chaîne de boutiques qui offre un rabais en magasin aux internautes qui envoient des suggestions de promesses électorales.

Enquête du DGEQ

La porte-parole du Directeur général des élections du Québec, Julie St-Arnaud Drolet, affirme que l'institution n'était pas au courant de la campagne publicitaire à saveur érotique. «On vient de prendre connaissance du dossier et on va analyser la situation», a-t-elle fait savoir après avoir été informée par La Presse canadienne de la nature du parti enregistré officiellement.

De son côté, Anne-Marie Ruel a pourtant affirmé en entrevue que son employeur s'était informé auprès de l'organisme qui sert de chien de garde au processus démocratique. «On a bien fait nos devoirs. On a fait des démarches légales et on nous a confirmé que tout était bien», assure la gestionnaire.

En période électorale, il pourrait s'agir d'une démarche illégale puisque toute dépense électorale doit être autorisée par un agent officiel. Une dépense électorale pouvant directement ou indirectement favoriser ou nuire à un candidat ou un parti ne peut pas être effectuée par un tiers.

Le hic, c'est que la période électorale 2018 ne doit débuter que le 30 août pour se terminer le soir de l'élection, le 1er octobre à 20h. Le DGEQ souhaite tout de même mener son enquête.

Selon Julie St-Arnaud Drolet, l'intervention du DGEQ pourrait varier d'un simple avertissement avec une approche d'éducation au système électoral jusqu'à un constat d'infraction si la loi n'a pas été respectée.