Peut-être vous ont-ils rendu visite ? La Régie du bâtiment vient d'annuler la licence d'entrepreneurs « dangereusement fourbes » qui écumaient les quartiers résidentiels du Québec et prétendaient faussement découvrir des moisissures dans les combles des maisons. Suivaient factures salées, travaux inutiles, beaucoup de pression pour payer... et bien des maux de tête. Derrière le stratagème : un proche des motards criminels.

« Dès que j'ai vu le camion, après avoir signé leur faux contrat, j'ai vu que c'était louche. »

Régis Couture n'en revient toujours pas de son expérience avec l'entreprise Décontamination Optimum de Boisbriand. En entrevue avec La Presse, le sexagénaire de Roberval, au Lac-Saint-Jean, se remémore à quel point tout allait vite, trop vite, lorsqu'il a mis le doigt dans l'engrenage, l'automne dernier.

Ce jour-là, des représentants de l'entreprise débarquent chez lui sans rendez-vous. Ils sont dans le secteur et proposent d'inspecter les combles de sa résidence. En fait, « ils étaient en train d'écrémer toute la région », dit-il.

« Le scénario est très, très, très bien fait. Ils rentrent un peu équipés comme ce qu'on voit dans CSI Les experts. Ils vont dans le toit et ils font des flashes. Ils descendent avec des photos. » - Régis Couture

Moisissures, champignons : le bilan de l'inspection et les photos sont inquiétants. D'autant plus que le chat de la famille a été malade la semaine précédente et que les propriétaires s'inquiètent de la qualité de l'air.

FACTURÉ EN CINQ MINUTES

Sous pression, M. Couture signe un contrat de vente de 4500 $. On lui dit qu'il ne sera facturé qu'à la fin des travaux, qui ne commenceront que dans quelques jours. Mais il n'en est rien.

« Ils ont chargé ma MasterCard cinq minutes après être sortis de la maison ! », se souvient le principal intéressé.

Très rapidement, un camion arrive, des ouvriers débarquent, font mine d'exécuter des travaux, puis s'en vont.

Le propriétaire est médusé. Il constate que le contrat qu'on lui a fait signer contient plusieurs dérogations à la Loi sur la protection du consommateur. Il fait venir un entrepreneur de sa région pour une contre-expertise : ce dernier lui assure qu'il n'y a aucune trace de moisissures et qu'aucun travail de décontamination n'a été effectué.

Les photos qu'on lui a montrées après l'inspection n'avaient même pas été prises chez lui. « J'ai trouvé les mêmes sur Google ! » s'insurge-t-il.

M. Couture a immédiatement contesté le contrat et mis l'entreprise en demeure de le rembourser. Avec l'aide de sa société de crédit, il a fini par obtenir gain de cause. En insistant beaucoup.

« Au début, on se fait dire qu'on est imbécile, ils ne veulent rien entendre, ils deviennent assez agressifs. » - Régis Couture

Depuis l'automne dernier, M. Couture a parlé à plusieurs personnes qui sont tombées dans le piège. « Toutes sortes de monde se sont fait avoir. Ce que je trouve terrible, c'est qu'ils s'en prennent souvent à des personnes âgées, ou à des veuves. Il y a plein de gens qui m'ont demandé conseil, il y en a qui pleuraient, c'était épouvantable », dit-il.

GRAND DANGER POUR LE PUBLIC

Le cas de M. Couture est loin d'être unique. Et le phénomène n'est pas limité au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

L'Office de la protection du consommateur a reçu des dizaines de plaintes contre l'entreprise de la couronne nord de Montréal, qui prétend sur son site web avoir servi plus de 8500 clients en 10 ans.

La Régie du bâtiment a mené une enquête sur l'entreprise ces dernières années, et une audience publique a eu lieu le 9 juillet pour exposer ce qu'une avocate de l'organisme a qualifié de « problématiques crasses » et de « grand danger pour le public ». L'enquête a démontré que la clientèle visée était « principalement constituée de personnes vulnérables dans les régions de Québec, Chicoutimi et Trois-Rivières ».

Le manège était presque toujours le même, selon les témoignages recueillis. Les représentants de Décontamination Optimum étaient alarmistes. Ils n'avaient « jamais vu un aussi gros champignon », les moisissures étaient dangereuses pour la santé, elles allaient se répandre, la maison serait entachée, tout allait mal.

Les échantillons étaient toujours envoyés au même laboratoire, qui déterminait dans 100 % des cas qu'il fallait décontaminer. Parfois, les travaux commençaient même avant l'analyse des échantillons, a découvert la Régie.

Selon l'enquête, les prix facturés n'avaient aucune commune mesure avec les prix courants dans le marché. Ils dépassaient souvent 8000 $ pour des travaux mineurs. Dans un cas, une dame a reçu une facture de 26 000 $. Les représentants de l'entreprise incitaient certains clients à emprunter pour payer.

UN PRÉSIDENT CÉGÉPIEN

Officiellement, le président de Décontamination Optimum est Randy Leith, cégépien qui a pris la tête de l'entreprise à l'âge de 17 ans, il y a quelques années. Il travaille à temps partiel dans une boucherie et, selon l'enquête de la Régie, ne connaît rien à la décontamination.

Rencontré par la cheffe d'équipe aux enquêtes de la Régie, le jeune homme a expliqué qu'il ignorait qui étaient les administrateurs et actionnaires de son entreprise, qu'il ne connaissait ni le chiffre d'affaires, ni les sous-traitants, ni aucun détail des activités.

L'enquête a démontré que le jeune homme est un prête-nom pour son père, Frank Leith, qui se cache derrière toute une série d'entreprises à numéro, dont l'une est associée à pas moins de 99 noms d'entreprises différents. Cette façon de faire brouille les cartes et rend toute poursuite à son endroit difficile, selon la Régie.

La famille Leith a reconnu avoir confié la gestion des contrats de décontamination à Jean-Noël Lacroix, résidant de Québec proche des motards criminels qui a déjà été mêlé à un stratagème semblable pour vendre des thermopompes (voir autre texte).

« Nous, en tant qu'enquêteurs, on a eu vent que M. Lacroix fait partie du crime organisé. Des gens peuvent avoir peur de lui. Et c'est toujours les mêmes gamiques, la pression, les gens qui voulaient résilier des contrats et qui ont reçu des menaces », a expliqué la cheffe d'équipe aux enquêtes de la Régie, Fanny Bertrand.

Les affaires marchaient bien : les administrateurs ont confié à la Régie qu'ils pouvaient réaliser des ventes de 80 000 $ en deux mois. « C'est dangereusement fourbe », a plaidé la procureure de la Régie, Me Edith Crevier, lors de l'audience.

REFUS DE S'EXPLIQUER

Sylvie Séguin, régisseuse chargée de statuer sur le sort de l'entreprise, se dit convaincue que Décontamination Optimum « trompe, dupe et abuse de la confiance des citoyens ».

« Le modèle d'affaires ne mérite pas la confiance du public », a-t-elle tranché avant de révoquer la licence de l'entreprise dans sa décision du 16 juillet.

Les administrateurs de l'entreprise n'ont pas répondu à une demande d'entrevue de La Presse hier. Ils avaient aussi refusé de venir témoigner devant la Régie et avaient annoncé qu'ils étaient prêts à renoncer volontairement à leur licence.

Mais la procureure de l'organisme a tenu à ce que la preuve soit exposée en détail malgré tout, afin de consigner publiquement les noms de tous les individus impliqués, en prévision de « toutes les futures aventures de ces gens qui ont de multiples compagnies ».

Aucune des personnes impliquées n'a été accusée de quoi que ce soit au criminel dans cette affaire.

Photo Erick Labbé, Archives Le Soleil

Jean-Noël Lacroix, résidant de Québec proche des motards criminels, a déjà été mêlé à un stratagème semblable pour vendre des thermopompes.

Un homme d'affaires proche des motards

Selon l'enquête de la Régie du bâtiment, Décontamination Optimum avait confié la gestion de ses contrats de décontamination à Jean-Noël Lacroix, un homme d'affaires proche des motards criminels. « Si tu cherches un vendeur, c'est lui que tu veux », a déclaré un dirigeant de l'entreprise à son sujet. Voici un résumé de son parcours.

2009 

Jean-Noël Lacroix et son entreprise de chauffage Flamidor sont reconnus coupables de 120 chefs d'accusation en vertu de la Loi sur la protection du consommateur. Deux ans plus tôt, M. Lacroix avait plaidé coupable à 40 infractions à la Loi sur les assurances dans le même dossier.

2011 

Jean-Noël Lacroix est arrêté pour menaces de mort envers sa soeur. Il sera acquitté, mais au cours des procédures judiciaires, les policiers vont exposer à la cour ses liens d'amitié étroits avec Michel « Doune » Guérin. Ce dernier est l'ancien chef du club de motards des Mercenaires, condamné à 12 ans de pénitencier pour la gestion d'un réseau de trafic de cocaïne lié aux Hells. M. Lacroix a reconnu ses liens avec M. Guérin en entrevue avec Radio-Canada.

2012 

Dans le cadre d'une contestation en cour de sa cotisation fiscale, l'homme d'affaires Pierre Labrecque déclare sous serment au tribunal qu'il s'est retrouvé sous pression après que Jean-Noël Lacroix lui a présenté des motards.

2014

Jean-Noël Lacroix plaide coupable à une accusation de vol pour sa participation à une fraude fiscale de près de 1 million. Il écope d'une peine de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité et d'une amende de 30 000 $. Le stratagème était basé sur la vente d'échangeurs d'air.