Le gouvernement Couillard a annoncé début juin son intention d'interdire pour de bon l'exploitation du gaz de schiste (par fracturation hydraulique) au Québec, mais l'industrie sort de sa manche une ultime carte pour le convaincre de changer d'avis.

L'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) propose de verser 3 % des profits des puits aux municipalités et aux Premières Nations. L'APGQ a fait cette annonce dans le cadre d'une période de consultation de 45 jours sur les nouveaux règlements, décrétée par le gouvernement et qui va se conclure le 5 août.

Le président de l'APGQ, qui est aussi à la tête de l'entreprise Questerre Energy, assure que cette proposition ne représente pas une tentative désespérée pour sauver les meubles. Selon Michael Binnion, l'industrie du gaz de schiste réfléchissait depuis des années à une manière de partager les revenus.

« En 2011, le gouvernement n'a jamais annoncé de programme de partage des bénéfices. Alors les communautés se retrouvaient devant un scénario sans bénéfice ou très peu, avec des conséquences méconnues à l'époque. Alors, pourquoi aller de l'avant ? », demande M. Binnion, qui estime que toute la saga du schiste au Québec a ainsi bien mal débuté.

Tellement mal que lui-même répugne à prononcer le mot « schiste » lors de l'entrevue. « On préfère dire "gaz naturel" », précise M. Binnion.

L'APGQ entend aussi profiter de la période de consultation pour rendre public un rapport sur les retombées économiques de la production du gaz naturel au Québec et présenter des « projets de gaz naturel nouvelle génération, c'est-à-dire avec zéro émission, zéro additif chimique, eaux recyclées à 100 % et électrification des procédés industriels ».

La proposition de l'industrie ne change rien au fond du problème, selon la porte-parole d'Eau secours !, qui estime que les risques de contamination de l'eau sont trop importants pour ouvrir la porte à l'exploitation du gaz de schiste.

« Quand on y pense, c'est des peanuts. On est en train de gaspiller des ressources essentielles à vie pour pas grand-chose. » - Martine Chatelain, porte-parole d'Eau secours !

Mais l'APGQ fait valoir que les sommes en jeu sont loin d'être « des peanuts ». L'association soutient que chaque puits pourrait ainsi rapporter 500 000 $ par année à la municipalité où il se trouve, ce qui équivaut à 3 % des profits nets. Chaque puits, à maturité, peut donc produire des profits de plus de 15 millions par année, après impôts, selon les calculs de l'APGQ.

« Ces projets réduiraient les émissions globales. Ils rendraient le Québec indépendant en matière de gaz naturel, lui donneraient accès à un gaz plus propre, plus fiable, prétend Michael Binnion. Alors, qui est contre ça ? »

ENTRÉE EN VIGUEUR AVANT LES ÉLECTIONS ?

Le gouvernement de Philippe Couillard a annoncé en juin son intention d'interdire la fracturation hydraulique dans le schiste, ce que le premier ministre avait promis dès 2014. Les changements réglementaires ont déçu tant l'industrie que plusieurs groupes écologistes, qui estiment que Québec ne va pas assez loin.

Eau secours ! aurait ainsi aimé que la technique de fracturation hydraulique soit interdite partout au Québec, pas seulement dans la vallée du Saint-Laurent. 

Le président de l'APGQ avait quant à lui dénoncé une décision « électoraliste ». Son entreprise, Questerre, a creusé 17 puits et fait plusieurs découvertes, notamment sur la Rive-Sud de Montréal, dans Bécancour et Lotbinière, explique-t-il.

« La réglementation n'est pas encore mise en place. Je dirais qu'il y a beaucoup d'incertitude quant à sa mise en place. » - Michael Binnion

Bien que cette remarque puisse laisser entendre que le gouvernement pourrait reculer, au cabinet du ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Moreau, on assure avoir l'intention de mettre en vigueur les nouveaux règlements, et notamment l'interdiction de l'exploitation du gaz de schiste.

« Notre intention est de procéder à l'édiction des règlements avant le déclenchement des élections. Par contre, on va attendre la fin de la période de consultation et analyser les commentaires », a dit Jean-Félix Levesque, attaché politique au cabinet de Pierre Moreau.

L'idée que l'entrée en vigueur puisse être repoussée n'effraie pas Eau secours ! « Ce serait judicieux de [la part des libéraux] de le faire. Parce que ça pourrait leur nuire électoralement, croit Martine Chatelain. Dans le mouvement citoyen, plusieurs sont en train de les regarder aller. Les questions de l'eau, ce sont des questions très sensibles. Le gaz et le pétrole dans l'eau, ça inquiète les gens. »

Elle rappelle que certains projets, notamment Bourque, celui de l'entreprise Pieridae Energy en Gaspésie, pourraient recourir à la fracturation hydraulique selon les règlements présentés en juin.

« En essayant de plaire à son père et à tout le monde, on finit par déplaire à peu près à tout le monde, dit-elle. C'est comme si le gouvernement n'arrivait pas à prendre position entre les gens qui veulent protéger leur eau et les lobbys de l'industrie, qui veulent des profits, car ils sont là pour ça et on les comprend. »

Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse

À la suite de l'annonce du gouvernement Couillard au mois de juin dernier d'interdire pour de bon l'exploitation du gaz de schiste (par fracturation hydraulique) au Québec, l'industrie propose maintenant de partager 3 % de ses profits avec les municipalités et les Premières Nations.