Créé en 2007 à Montréal, le Projet de correspondance pour prisonniers met en relation des particuliers avec des détenus LBGTQ2 au Canada et aux États-Unis. L'objectif : lutter contre l'isolement grâce à des échanges épistolaires.

Parmi les amis que compte Kristin, il y en a un qu'elle n'a jamais vu et qu'elle pourrait même ne jamais rencontrer. Depuis 2015, cette Montréalaise de 34 ans écrit à John*, un homme gai détenu dans une prison en Californie. Ils ont appris à se connaître au fil des lettres qu'ils se sont écrites. «Au départ, c'est un peu long, car il faut se trouver des points communs, se souvient-elle. Il adore les chiens, comme moi, alors je lui envoie des photos, des histoires drôles. Je le distrais. Je sais qu'il adore apprendre et qu'il est curieux. Je lui envoie donc des livres dont on parle ensuite.»

Cette commis financière tente, à distance, de permettre au détenu d'échapper à son quotidien. Les deux correspondants se répondent dès que possible, sachant qu'une lettre met de deux à trois semaines à arriver à destination. Et que celles-ci sont régulièrement ouvertes et lues par le personnel du pénitencier. Kristin ignore pour quelle raison John est incarcéré, depuis quand ou pour combien de temps.

«Être détenu est la seule chose qui le définit en prison. Là-bas, la première question que les gens vont lui poser, c'est : "Pourquoi es-tu ici?" Alors je ne pose pas trop de questions à ce sujet, je ne veux pas lui parler de mauvais souvenirs si la situation est compliquée.»

Le jeune homme sait qu'il peut trouver en elle une oreille attentive, un soutien émotionnel. «Il compte pour moi. Je suis toujours contente d'avoir de ses nouvelles, je suis rassurée lorsque je sais qu'il est en sécurité», confie-t-elle.

2100 détenus en attente de correspondant

Kristin a été mise en relation avec son correspondant grâce au Projet de correspondance des prisonniers. Née à Montréal, cette initiative existe depuis plus de 10 ans. Il s'agissait au départ de recueillir quelques lettres en surplus d'autres organisations et de s'engager à trouver des correspondants. Grâce au bouche-à-oreille, le projet a grandi de façon exponentielle. Aujourd'hui, quelque 1200 personnes LGBTQ2 détenues au Canada et aux États-Unis échangent des lettres dans le cadre de ce projet. Quelque 2100 autres sont sur liste d'attente. Il faut ainsi patienter de deux à trois ans avant de trouver un correspondant.

Au Québec, en vertu de la Loi sur le système correctionnel, les détenus ne sont pas autorisés à recevoir de visites de leurs amis. Pour certains détenus, leur correspondant est le seul lien avec l'extérieur. «Beaucoup de personnes trans ne sont plus en contact avec leur famille à cause de leur identité, par exemple», note Olivia, membre active du collectif qui a, elle, deux correspondants. 

«Les prisons ont été créées pour isoler. Écrire à quelqu'un qui se trouve en prison, c'est révolutionnaire, c'est aller à l'encontre de l'isolement.»

«La violence envers la communauté LGBTQ2 existe dans la société. Elle est amplifiée en prison, poursuit Olivia. Dans les prisons, les identités queer ou trans sont marginalisées et étouffées.»

Faute de données, le ministère de la Sécurité publique est incapable de dire si les personnes LGBTQ2 incarcérées sont «davantage, autant ou moins victimes de violence que la moyenne des personnes incarcérées».

«Vouloir tendre la main»

Dans une petite pièce d'un bâtiment à deux pas de l'Université Concordia, en plein coeur de Montréal, quelques membres du collectif s'activent pour lire une centaine de lettres chaque mardi et jeudi après-midi. Toutes proviennent de détenus incarcérés au pays ou au sud de la frontière. «Certains demandent des précisions sur le projet, de la documentation... On essaie de leur répondre rapidement, mais c'est beaucoup de travail», indique Olivia.

L'exercice permet de centraliser les demandes, avant la recherche d'un correspondant. Mais pas seulement. Documents sur la sexualité, la spiritualité, la santé, le féminisme... Les détenus peuvent demander des informations au collectif, qui dispose d'une banque de ressources.

Au Québec, seuls six détenus prennent part au projet, «car les peines sont souvent moins longues qu'aux États-Unis et nous n'avons pas le temps de trouver un correspondant», explique Olivia. En revanche, des centaines de Québécois écrivent à un ou plusieurs détenus incarcérés ici ou aux États-Unis. La fréquence, le contenu et la durée des échanges dépendent des relations que chacun noue.

Des membres opposés au concept de détention

Le groupe milite pour l'abolition des prisons. Mais ce n'est pas forcément le cas de tous les bénévoles qui participent au projet. «On ne s'attend pas à ce que tout le monde partage nos idées, précise Olivia. Il faut simplement être ouvert d'esprit et vouloir tendre la main.»

Entre les frais de port, les enveloppes, la documentation, etc., le groupe doit prévoir environ 20 000 $ de fonctionnement par an. Ces fonds proviennent de particuliers. «Nous ne recevons aucune aide du gouvernement. Comme nous sommes contre la prison, ce serait contradictoire d'aller demander de l'argent à ceux qui les créent», explique Olivia.

L'initiative est-elle vue d'un bon oeil par le ministère de la Sécurité publique? Celui-ci estime «que maintenir des contacts avec des proches ou des pairs prosociaux favorise le processus de réinsertion sociale. Ce qui rejoint un des objectifs poursuivis par le projet».

* Nom fictif