Rien n'indique que le Sommet du G7 à La Malbaie sera le théâtre de grandes manifestations. À deux semaines de l'événement, divers organismes et militants interrogés par La Presse notent que la mobilisation est difficile. Ils montrent surtout du doigt l'ampleur des mesures de sécurité déployées par les autorités, qui effraient beaucoup de protestataires potentiels.

«Les gens ont vraiment peur et n'ont pas envie de manifester», dit Marianne Guay. Employée du Centre-Femmes aux Plurielles de La Malbaie, elle tente de convaincre ses concitoyens de venir faire entendre leur voix en marge de la réunion des dirigeants des sept pays les plus riches du monde. «Les gens pensent que nous sommes fous de vouloir manifester, que tout ça, c'est trop gros», renchérit-elle, ajoutant que la vie dans cette municipalité de Charlevoix n'est plus la même depuis qu'un nombre accru d'agents de la paix ont été déployés en amont du Sommet.

Et ce n'est que le début. Les autorités du pays ont déjà annoncé que près de 8000 policiers et militaires assureront la sécurité pendant le Sommet, alors que Donald Trump, Angela Merkel et Emmanuel Macron discuteront à huis clos dans l'hôtel de la chaîne Fairmont.

Une peur généralisée

La peur de l'appareil sécuritaire ne touche pas seulement les manifestants dans Charlevoix. Les organisations qui planifient des actions citoyennes à Québec pendant la tenue du sommet international disent elles aussi se heurter aux craintes de la population.

«C'est difficile de mobiliser les gens. Il faut faire de la mise en contexte et contrer la peur semée par les policiers et certains médias. On nous annonce 500 millions pour les mesures de sécurité, on dit que des places ont été libérées dans les prisons, on établit une fausse zone de liberté d'expression dans un stationnement. Tout ça, ça sert à faire taire les manifestants, à faire taire les vraies critiques du G7», déplore Anne-Valérie Lemieux-Breton, coordonnatrice du Regroupement d'éducation populaire en action communautaire (REPAC) des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches.

Son organisation est au coeur des activités planifiées à Québec, que ce soit une marche dans les rues de Québec le 7 juin ou un forum alternatif qui aura lieu devant l'Assemblée nationale le 9 juin.

Foules plus discrètes

Pour le moment, les organisateurs sont loin de s'attendre à ce que des foules comparables à celles du Sommet des Amériques de 2001 à Québec déferlent dans les rues.

À l'époque, les protestataires s'opposaient à l'adoption de la Zone de libre-échange des Amériques, enjeu qui avait fédéré beaucoup de monde. «En 2001, il y avait 60 000 personnes dans les rues. Il y avait une vraie effervescence, une vraie énergie», se souvient Ronald Cameron de l'organisation altermondialiste ATTAC-Québec.

Si, selon lui, la peur explique en partie le manque d'ardeur des protestataires en 2018, elle n'est pas le seul facteur. «Logistiquement, c'est vraiment compliqué. À cause du Grand Prix [de Formule 1] qui a lieu autour des mêmes dates, c'est difficile de louer des bus pour se rendre sur place», donne-t-il en guise d'exemple.

Un signe d'essoufflement

De plus, un an et demi après l'élection de Donald Trump, les mouvements sociaux sont aussi en pleine redéfinition, constate Dominique Daigneault, présidente du Conseil central du Montréal métropolitain de la Centrale des syndicats nationaux (CSN). «Après les grandes luttes des dernières années, que ce soit le mouvement étudiant de 2012 ou la bataille contre les mesures d'austérité, il y a une fatigue et un essoufflement. Et on assiste à une montée de la droite dure», a dit Mme Daigneault le week-end dernier lors de la conférence «La Grande Transition», organisée par une myriade d'organisations de la gauche dans des locaux de l'Université du Québec à Montréal.

Rencontrés lors de cette même conférence, d'autres militants affirmaient que les dossiers locaux étaient actuellement plus à la mode que les grandes questions internationales dans leurs rangs.

«À l'évidence, le mouvement de protestation contre le G7 n'est pas aussi organisé qu'en 2010 à Toronto, a dit David McNally, militant socialiste de la Ville Reine de passage à Montréal. En ce moment, les mouvements sociaux en Ontario se concentrent sur les élections provinciales. Les enjeux sont grands avec la présence de Doug Ford. Il est tellement à droite. C'est la lutte primordiale pour les groupes de gauche en ce moment», a-t-il noté.

Pas de fronde anti-Trump

La première visite officielle de Donald Trump au Canada ne semble pas non plus changer la donne. «Trump fait l'unanimité contre lui et n'en fait qu'à sa tête. La plupart des gens pensent qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose contre lui», dit Claude Vaillancourt, président d'ATTAC-Québec.

Malgré cette explication, le président d'ATTAC-Québec tentera de convaincre le plus grand nombre possible de personnes de se joindre à lui dans les rues de Québec. «On pense que c'est important de manifester. Justin Trudeau a de belles idées, il a mis l'égalité des sexes et la lutte contre les inégalités à l'ordre du jour, mais il suffit de voir l'historique du G7 pour constater que ce club est le champion des promesses non tenues. Ils peuvent promettre plein de choses, mais n'ont pas de contraintes pour les mettre en oeuvre», dit-il, en espérant que beaucoup d'autres partageront son point de vue.

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Trudeau à La Malbaie aujourd'hui


Le premier ministre du Canada sera à La Malbaie aujourd'hui pour préparer le Sommet des leaders du G7 qui aura lieu les 8 et 9 juin au Manoir Richelieu. À 18h, il rencontrera les citoyens de la région sur le terrain de soccer de l'école secondaire du Plateau. L'invitation a été transmise sur Facebook par le maire de La Malbaie, Michel Couturier.

Des groupes sociaux comptent y assister pour faire part au premier ministre de leurs inquiétudes face à la tenue du sommet politique et économique. «Le maire dit que c'est une rencontre communautaire. On va le prendre au pied de la lettre», disait hier Marianne Guay, du Centre-Femmes aux Plurielles. Elle s'inquiète notamment du haut coût du sommet par rapport aux résultats escomptés.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Dominique Daigneault