L'ex-directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, a fait une apparition hier en marchant aux côtés des grutiers en colère contre une modification apportée à la réglementation sur leur formation. L'ex-leader syndical a confié à La Presse qu'il avait tourné la page sur son passé judiciaire et qu'il espérait « s'impliquer » pour la cause syndicale.

« L'implication syndicale, ça fait partie de mes tripes. Ça fait partie de moi », a indiqué le grutier de formation, qui participait au rassemblement organisé par le syndicat de l'Union des opérateurs grutiers de la FTQ-Construction, dirigé par son frère, Evans Dupuis. Jocelyn Dupuis, condamné pour avoir fraudé les membres de la FTQ-Construction, a été libéré de prison il y a un an.

Les grues ont envahi hier le centre-ville de Montréal, hissées par des centaines de travailleurs qui en ont contre le gouvernement et la Commission de la construction du Québec (CCQ), qui modifieront à partir du 14 mai les règles pour exercer le métier de grutier. La manifestation a culminé devant les bureaux de Philippe Couillard, rue Sherbrooke.

Jocelyn Dupuis a eu de la difficulté à demeurer silencieux lorsque les dirigeants syndicaux ont pris la parole, n'hésitant pas à lancer quelques mots à haute voix pour exprimer son appui au syndicat. « Ça me touche énormément, c'est pour ça que je suis ici », a-t-il expliqué au terme du rassemblement.

« C'est mon métier, c'est mes tripes et, soyez-en sûr, je serai présent et je ne lâcherai pas le morceau. »

Les nouvelles règles permettront notamment à des non-diplômés de devenir apprentis - uniquement en cas de pénurie de main-d'oeuvre - en suivant un plan de formation offert par l'employeur.

TOURNER LA PAGE

Condamné à un an de prison, Jocelyn Dupuis a été libéré au sixième de sa peine en mai 2017. En janvier 2015, il avait été reconnu coupable de fraude et de fabrication de faux pour avoir touché plus de 63 000 $ en remboursements de la FTQ-Construction grâce à 208 faux documents en 2007 et 2008.

« J'ai passé au travers de ça, autant ma famille que tout le monde. [...] Pour moi, c'est terminé. J'ai un dossier criminel et je vis avec », a-t-il affirmé, disant « avoir respecté ses convictions » à travers cet épisode. « J'ai passé au travers de ça, je sais comment j'ai défendu les travailleurs », a-t-il ajouté.

« RECUL DE 30 ANS »

Jocelyn Dupuis s'insurge contre la modification de la réglementation concernant la formation des grutiers, « un recul de 30 ans », selon lui. L'ex-directeur général de la FTQ-Construction était d'ailleurs directeur du syndicat des grutiers en 1997, à l'époque de la création du diplôme d'études professionnelles (DEP) en conduite de grues.

« La meilleure chose pour le métier de grutier, c'est le DEP », a soutenu le directeur de l'Union des opérateurs grutiers de la FTQ-Construction, Evans Dupuis, devant ses membres rassemblés. Plusieurs entrepreneurs de ce secteur de l'industrie étaient aussi présents, permettant le déploiement des grues.

« Ce sont des décisions politiques et administratives [...] prises au détriment de la santé des grutiers, des travailleurs et du public », a lancé Evans Dupuis, défendant le DEP créé en 1997 pour encadrer le métier. 

« On ne laisse pas aller un legs comme ça, on va revenir avec des morts. »

Un représentant de l'entreprise Guay inc., acteur important de cette industrie, était notamment sur place. « On n'est pas équipés pour donner une formation, a affirmé le directeur adjoint aux opérations, Jean-François Houde. Ça prend des pédagogues qui vont instaurer les notions de base, on n'est pas en mesure de faire ça. »

LA CCQ SE DÉFEND

La Commission de la construction du Québec nie « amoindrir » les exigences relatives au métier de grutier et affirme plutôt les « enrichir ». Elle explique que le changement de réglementation permettra d'améliorer le mécanisme déjà en place pour l'embauche de grutiers en cas de pénurie de main-d'oeuvre.

« Les exigences du nouveau règlement sont très élevées pour le travailleur qui décide de prendre cette voie-là et autant pour l'employeur qui décide de l'accompagner, a assuré la porte-parole de la CCQ, Mélanie Malenfant. Il n'y a pas de compromis qui a été fait en matière de santé et de sécurité [...] tout ça a été soumis au regard critique de la CNESST [Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail]. »

Le nouveau règlement prévoit une formation de 150 heures, en plus de l'atteinte de différentes conditions. Un compagnon de tous les métiers de la construction pourrait aussi suivre une formation de 80 heures lui permettant de manoeuvrer, à certaines occasions, un camion-flèche d'une capacité maximale de 30 tonnes pour des tâches liées à son métier.

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870

Nombre d'heures de formation suivies en sept mois par les étudiants du DEP en conduite de grues

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La CCQ assure que la voie privilégiée pour devenir grutier continue d'être la diplomation avec l'obtention du DEP. « On est venus corriger certains mécanismes qui ne nous permettaient pas d'ouvrir les bassins de main-d'oeuvre en cas de pénurie, a précisé Mme Malenfant. La mécanique précédente ne nous permettait pas de combler la pénurie. »

« ON EST TRÈS SÉRIEUX »

Pour sa part, le syndicat de l'Union des opérateurs grutiers promet que la mobilisation n'est pas terminée. « J'espère que le gouvernement et la CCQ ont compris qu'on était très sérieux. On va attendre de voir la réponse qu'ils vont nous donner », a indiqué Evans Dupuis à La Presse.

Le nombre d'accidents mortels impliquant une grue a diminué de 66 % au Québec depuis la création du DEP en 1997. Ce nombre s'élevait à 4,5 par année de 1973 à 1997 et a été réduit à 1,5 par année de 1997 à aujourd'hui, selon des données fournies par le syndicat.

Le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale n'a pas commenté la sortie des grutiers, expliquant que le dossier relevait de la Commission de la construction du Québec.