Le patron du camionneur qui a percuté une passerelle piétonnière, sur l'autoroute 40 à Repentigny mercredi, ne croit pas que l'installation d'un témoin lumineux avertissant que la benne du véhicule est restée relevée permettrait d'éviter ce type d'accident.

« Un système sonore serait plus efficace », dit Sylvain Chayer, président de Céréalex, entreprise de Saint-Roch-de-l'Achigan propriétaire du poids lourd impliqué dans la collision. « Il y a tellement de lumières de toutes sortes dans les camions aujourd'hui, ça ne sert à rien d'en ajouter. »

« On se croirait dans un cockpit d'avion quand on est dans la cabine d'un camion, tellement il y a de voyants lumineux », renchérit Michel Crépeau, directeur de l'École du routier professionnel, à Montréal.

L'installation de témoins lumineux indiquant que la benne d'un camion est relevée est pourtant la solution retenue par le ministère des Transports et la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) pour tenter de régler le problème. C'est la proposition qui se retrouve dans le projet de loi encadrant la refonte du Code de la sécurité routière, dont l'adoption doit se faire prochainement par les élus à Québec.

MESURE INSUFFISANTE

« Cette mesure n'est absolument pas suffisante, insiste M. Crépeau. Il faudrait en plus, minimalement, un avertisseur sonore. Que le chauffeur ne puisse pas ignorer qu'il y a un problème. »

Lors d'un incident comme celui de mercredi, si le camionneur ne s'est pas rendu compte que sa benne était relevée, ça signifie qu'il n'a pas regardé dans ses rétroviseurs et qu'il n'a pas été attentif aux comportements de son camion, selon Michel Crépeau.

« S'il était distrait, même s'il y avait eu un voyant lumineux, il ne l'aurait sans doute pas vu. »

- Michel Crépeau, directeur de l'École du routier professionnel

D'ailleurs, les camions à benne sont déjà équipés de témoins lumineux qui indiquent que le mécanisme hydraulique permettant d'activer la benne est enclenché - un autre contrôle permet ensuite de faire monter et descendre la boîte.

Normalement, un camion ne doit pas rouler quand ce mécanisme est enclenché. « Mais l'indicateur lumineux est placé entre les deux sièges, à droite du chauffeur, alors il est possible qu'il ne le voie pas, avec tous les éléments qui doivent être vérifiés en montant », explique Jean-Pierre Garant, président de l'Association nationale des camionneurs artisans.

Michel Crépeau se demande quelles consultations ont été faites par la SAAQ avant qu'elle ne recommande la solution du témoin lumineux. À la société d'État, une porte-parole n'a pas été en mesure de répondre à cette question hier.

Mais l'installation d'un avertisseur sonore n'est pas la solution idéale non plus, selon M. Garant.

Quand les camionneurs doivent circuler avec leur benne relevée sur une certaine distance sur des chantiers, par exemple pour déverser du gravier graduellement pour la construction d'une route, le son de l'avertisseur risque de les incommoder. « Certains chauffeurs voudront alors désactiver le signal, et on ne sera pas plus avancés », note-t-il.

CHAUFFEUR BLESSÉ

Michel Crépeau se demande comment le chauffeur au volant du camion de Céréalex a pu rouler sans se rendre compte que sa benne était relevée. « Le déplacement du centre de gravité est perceptible dans le comportement du camion, dit-il. Les roues arrière sont soulevées, il y a moins d'adhérence sur la chaussée, le véhicule commence à déraper. »

Sylvain Chayer, patron de Céréalex, se pose la même question. « On ne s'explique pas ce qui s'est produit », avoue-t-il.

Son chauffeur était sous le choc après l'accident. M. Chayer l'a vu, sans pouvoir aborder avec lui les circonstances de l'événement. L'employé se trouvait hier après-midi à l'hôpital, pour vérifier s'il avait des côtes fracturées.

Ébranlé par l'accident de mercredi, Sylvain Chayer prévoit installer des alarmes avertissant les chauffeurs quand la benne de leur camion est élevée. Le commerçant en grain possède trois camions de ce type. « Je ne sais pas si ça existe, un système d'alarme pour ça, mais si ça n'existe pas, on va l'inventer ! », lance-t-il.

DES RECOMMANDATIONS DANS DEUX RAPPORTS

En février 2015, à Gatineau, le camionneur Rock Laurin a heurté en pleine nuit un viaduc avec la benne de son camion, restée relevée. L'homme de 41 ans, qui ne portait pas sa ceinture de sécurité, a été éjecté de son véhicule, puis écrasé sous le poids de la cabine, qui s'est renversée sur lui. Son décès a été constaté sur place. Deux rapports, produits par le Bureau du coroner et la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), recommandaient que la SAAQ « étudie la nécessité que les camions à benne basculante soient munis d'un dispositif permettant au conducteur du camion d'être informé du fait que leur benne [était] en position relevée à leur insu ». L'employeur de M. Laurin, Transport Dubé, a aussi été blâmé par la CSST pour n'avoir pas respecté la réglementation limitant les heures de travail des camionneurs, afin d'éviter une trop grande fatigue.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, archives LA PRESSE

Les entreprises qui employaient le camionneur ayant percuté une passerelle pour piétons avec la benne de son camion, en 2015 à Longueuil, ont versé 923 000 $ à la Ville pour la reconstruction de la structure, qui a été complètement démolie à la suite de l'accident.

PROCÈS À LA SUITE D'UN ACCIDENT SIMILAIRE À LONGUEUIL

Les entreprises qui employaient le camionneur ayant percuté une passerelle pour piétons avec la benne de son camion, en 2015 à Longueuil, ont versé 923 000 $ à la Ville pour la reconstruction de la structure, qui a été complètement démolie à la suite de l'accident. Mais la municipalité réclamait 2,4 millions à Environnement routier NRJ et à Entreprise Arguy, sous-traitant de NRJ. Un procès débutera donc la semaine prochaine, parce que Longueuil réclame toujours 1,5 million aux deux entreprises. Entre-temps, une nouvelle passerelle a été construite, et doit être ouverte aux piétons et aux cyclistes au cours de l'année 2018. Certains éléments, qui ne sont pas conformes aux plans, doivent être modifiés par l'entrepreneur qui a construit la structure au coût de 12,8 millions.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, archives LA PRESSE

Les entreprises qui employaient le camionneur ayant percuté une passerelle pour piétons avec la benne de son camion, en 2015 à Longueuil, ont versé 923 000 $ à la Ville pour la reconstruction de la structure, qui a été complètement démolie à la suite de l'accident.