Les entreprises de camionnage sont aux prises avec d'importants problèmes de congestion depuis plusieurs semaines au port de Montréal. En plus d'étirer les délais de réception de leur cargaison jusqu'à cinq heures, cette congestion incite déjà des transporteurs à imposer une surcharge à leurs clients pour y ramasser des conteneurs.

Le président du Groupe TYT et président du conseil de l'Association du camionnage du Québec (ACQ), Patrick Turcotte, affirme que ces problèmes, qui deviennent chroniques, ont été exacerbés, ces dernières semaines, par de nouvelles consignes d'un transporteur maritime, qui exige que les conteneurs vides soient ramenés directement au port plutôt que dans un des lieux de dépôt habituels, situés dans l'est et l'ouest de l'île de Montréal.

L'ACQ réclame au Port et aux opérateurs des terminaux une prolongation des heures d'ouverture pour les camions, qui sont présentement limitées entre 6h et 15h. M. Turcotte insiste toutefois pour que ces heures ajoutées deviennent permanentes, et non pas temporaires, le temps de faire baisser la pression dans les terminaux.

L'une des pires journées de congestion est survenue il y a une dizaine de jours.

«Le délai s'est étiré jusqu'à cinq heures pour prendre livraison d'un conteneur. La file d'attente à l'entrée du port dans la rue Notre-Dame était longue de six à huit kilomètres», affirme M. Turcotte.

Des journées semblables, dit-il, «c'est comme travailler pour perdre de l'argent».

Surcharge et sécurité

La congestion actuelle incite certains transporteurs à imposer une surcharge à leurs clients pour prendre livraison de marchandises dans le port. C'est le cas du Groupe TYT, qui exige jusqu'à 75 $ par heure d'attente. Une mesure qui n'est pas très populaire auprès des clients qui considèrent que ces problèmes de congestion ne les concernent pas et qu'ils n'ont pas à payer pour cela.

«Si demain matin, les clients se mettent à payer 200 $ ou 300 $ juste pour qu'on aille ramasser une boîte d'une certaine ligne maritime, ça pourrait défavoriser cette firme, fait remarquer M. Turcotte. Mais pire encore, ces surcharges risquent tôt ou tard de diminuer la compétitivité du port.»

«C'est un problème qu'on vit depuis longtemps au port, dit-il, et qui crée souvent des embouteillages et des débordements sur l'autoroute 25 ou dans la rue Notre-Dame. Cela crée des situations qui peuvent mettre en péril la sécurité des usagers de la route.»

Les délais actuels ont des impacts sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Les clients sont mécontents, le personnel administratif qui doit composer quotidiennement avec les plaintes de la clientèle est fatigué et stressé, sans parler des camionneurs qui sont de plus en plus nombreux à refuser d'aller au port de Montréal.

L'entreprise de M. Turcotte, le Groupe TYT, établie à Drummondville, déploie environ 50 camions chaque jour pour le transport de marchandises conteneurisées dans le port et aux terminaux des entreprises ferroviaires, qui ne sont pas affectés par ces délais.

«Chez les camionneurs, il y a beaucoup de frustration. Les chauffeurs se chicanent pour savoir qui va passer le premier. Et alors qu'on est en pénurie de personnel, ils nous disent qu'ils ne veulent plus aller au port même si on les paie à l'heure parce qu'ils n'ont pas envie de rester stationnés pendant trois ou quatre heures», précise M. Turcotte.

Le PDG de l'ACQ, Marc Cadieux, affirme de son côté que d'autres transporteurs lui ont rapporté que des camionneurs ont même menacé de rendre les clés de leur camion si on les forçait à se rendre au port.

2500 camions par jour

Si on ne s'entend pas sur la durée des temps d'attente, l'Administration portuaire de Montréal (APM) reconnaît «qu'on vit une situation problématique depuis une semaine ou deux. Ce n'est pas dû à une cause précise, mais à un amalgame de raisons, et notamment aux modifications imprévues des horaires d'arrivée des navires», selon la vice-présidente aux communications de l'APM, Sophie Roux.

Plusieurs navires ont été retardés ces dernières semaines à cause des conditions de navigation difficiles sur le Saint-Laurent en cette fin d'hiver. «Ça fait beaucoup de cargos qui débarquent en même temps sur nos quais et cela appelle beaucoup de camions dans nos installations.»

Selon Mme Roux, environ 20% des camions (soit un poids lourd sur cinq) ont connu des temps d'attente de plus de 90 minutes, ces dernières semaines. On compte jusqu'à 2500 camions qui entrent dans le port de Montréal et en sortent chaque jour.

La vice-présidente assure qu'on travaille activement «à mettre en place des solutions». «Nous avons eu des pourparlers avec les opérateurs des terminaux qui ont aussi rencontré des représentants de l'industrie du camionnage [la semaine dernière], dit-elle. Nous pensons que des heures d'ouverture plus longues, de préférence le matin, pourraient réduire la congestion actuelle.»

4h du matin

Exceptionnellement, jeudi dernier, l'exploitant des terminaux Viau et Maisonneuve, la société Termont, a ouvert ses guérites dès 4h du matin, au lieu de 6h. Cette mesure d'une journée semble avoir porté ses fruits puisque dans le portail du camionnage, un site internet qui permet d'observer les temps d'attente des poids lourds en temps réel, les délais sont restés inférieurs à une heure durant presque toute la journée dans ces deux terminaux.

En revanche, le temps d'attente au terminal de Cast, près du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, a varié durant toute la journée de 61 à 90 minutes, avec un pic de 132 minutes vers midi. Ce temps d'attente, sur le territoire portuaire, s'ajoutait à de longs délais d'accès au terminal par la rue de Boucherville, en raison d'une congestion majeure de la circulation sur l'autoroute 25 Sud, en direction du tunnel La Fontaine.

Pour le président du Groupe TYT, une ouverture au petit matin permet aux transporteurs de mieux répartir l'envoi des camions vers le port. «Les camions qui vont à l'international [aux États-Unis] peuvent charger plus tôt et ressortent du port avant même le début de l'heure de pointe dans la circulation. On peut ensuite envoyer les camions qui font de la livraison locale un peu plus tard le matin sans rester pris dans la congestion.»

«Mais il ne faut pas que ce soit juste un pansement sur le bobo en périodes de crise, ajoute M. Turcotte. Il faut que ça devienne une mesure permanente. Si on ouvrait aussi plus tard, l'après-midi, on pourrait ramener les boîtes vides sans interférer avec la circulation des marchandises qui doivent sortir du port.»