Menacée par la décrépitude et la désaffection religieuse, comme bon nombre d'églises québécoises, celle du village de Saint-Pacôme, dans le Bas-Saint-Laurent, sera-t-elle sauvée par la culture de laitues ?

C'est le pari que font les paroissiens de l'endroit, avec une petite entreprise locale spécialisée dans l'agriculture verticale.

Là où s'élevaient jadis des prières, vers la voûte décorée de dorures, de grandes tours remplies de jeunes pousses s'élèveront bientôt.

« Ce projet est un cadeau du ciel ! », s'exclame la présidente du conseil de fabrique de la paroisse, Lisette Lévesque, qui se démène depuis plusieurs années avec d'autres paroissiens pour trouver les moyens de payer l'entretien du vaste bâtiment, datant de 1852.

Les paroissiens ont repris espoir de préserver leur église. Mais ils avaient été ébranlés, il y a quelques années, lors d'une rencontre où l'on avait présenté une photo retouchée du village, sans son église au centre...

« Plusieurs avaient eu un choc, c'était très émotif », se rappelle le maire de Saint-Pacôme, Robert Bérubé. Mais si on ne trouvait pas de solution pour contrer la baisse des revenus, on aurait pu en arriver là.

« Le chauffage et les assurances coûtent à eux seuls 25 000 $ par année », souligne Lisette Lévesque. Et le bâtiment a besoin de travaux estimés à 400 000 $.

Les églises occupent toujours une place centrale dans les villages du Québec, même si la pratique religieuse recule. C'est particulièrement le cas à Saint-Pacôme, puisque l'église de ce village se trouve juste en haut d'une grande côte (que tout le monde appelle d'ailleurs « la côte de l'église »), surplombant la rivière Ouelle qui coule en contrebas, au pied de la montagne, à la croisée des principales artères.

VITRINE POUR LA CULTURE VERTICALE

Le plan de « sauvetage » de l'église est l'oeuvre d'Inno-3B, PME installée dans le village depuis 2014, qui veut y aménager son centre de démonstration de culture verticale.

Inno-3B a conçu un système de croissance des végétaux dans des modules empilés les uns sur les autres, en milieu fermé, où la température, l'humidité et l'éclairage sont gérés pour obtenir un rendement optimal, avec un minimum d'apport énergétique.

« Pour démontrer notre méthode de production, on cherchait des locaux industriels avec de très hauts plafonds, ce qui n'est pas évident à trouver. Quand la paroisse a fait son appel de projets, en raison de ses problèmes financiers, on s'est dit que ça serait l'endroit idéal pour nous », raconte Martin Brault, président d'Inno-3B.

La petite entreprise, qui n'avait que trois employés l'an dernier, en a maintenant 15, nouvellement installés dans l'ancienne maison du médecin du village, magnifique demeure ancestrale. Elle est en train de donner un regain de vitalité à la petite localité de 1600 âmes, en y attirant des collaborateurs de partout.

LE PLAN

• Inno-3B a créé un organisme à but non lucratif, Les Jardins du clocher.

• L'OBNL deviendra propriétaire de l'église, pour une somme symbolique, dès que l'évêché aura donné son accord officiel.

• La municipalité et la MRC, qui ont déjà manifesté leur appui, doivent approuver le changement d'usage de l'église pour y permettre des activités commerciales.

• Un prototype de module de culture sera d'abord installé dans la sacristie.

• Une firme d'architectes prépare des plans pour une utilisation optimale de l'espace de l'église, afin d'y installer les équipements de culture ainsi qu'un marché pour la vente des produits récoltés, une cuisine collective et un espace où pourront se poursuivre les célébrations religieuses ou d'autres rassemblements.

• Les plans permettront de connaître la superficie réservée aux modules de culture et la hauteur des tours. Selon les végétaux qu'on choisira de cultiver, l'OBNL pourra faire des projections de revenus.

• Les Jardins du clocher et Inno-3B tentent d'obtenir du financement, notamment auprès des programmes de soutien à l'innovation. Ils estiment avoir besoin de 3 à 4 millions pour lancer le projet.

• Les revenus provenant de la vente des végétaux financeront l'entretien de l'église, et les éventuels surplus iront à l'organisation d'activités communautaires.

Inno-3B souhaite qu'une telle vitrine donne le coup d'envoi à la commercialisation de son système, qui a d'abord été pensé pour les villages nordiques où tous les aliments frais doivent être expédiés par avion, ce qui entraîne des coûts et une empreinte environnementale très élevés.

« C'est le projet parfait pour montrer que chaque citoyen peut faire sa part pour l'environnement en mangeant localement », note Nathan De Baets, conseiller en changement climatique pour l'entreprise.

LOCAL ET ÉCOLOGIQUE

L'énergie nécessaire à la production est récupérée pour chauffer l'édifice, les coûts de transport et la pollution sont réduits grâce à la consommation locale, ce qui évite aussi le gaspillage alimentaire, explique-t-il. « Et au lieu de consommer les laitues importées, l'achat de produits cultivés ici permet de garder les capitaux au Québec, et de manger plus frais, sans pesticides. »

De la laitue, du germe de blé, des pousses de tournesol, du radis, des fines herbes, du blé, du cresson et éventuellement des petits fruits et des tomates pourraient être cultivés dans l'église.

Au diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, on voit le projet d'un oeil favorable, notamment en raison de son aspect environnemental et communautaire. 

« Le pape s'est prononcé sur l'importance de protéger la terre et l'environnement. Mais il est aussi intéressant d'avoir un projet commercial, qui pourra générer des revenus, tout en conservant un accès communautaire. »

- Yves Thériault, économe diocésain

Alors que des paroisses risquent la faillite en raison de la baisse de leurs revenus, il serait intéressant que le projet de Saint-Pacôme soit reproduit ailleurs, selon M. Thériault. Mais certaines paroisses ne voient pas l'urgence d'agir, déplore-t-il. « Plusieurs refusent même tout projet exigeant de retirer les bancs d'église ! »

À Saint-Pacôme, la fabrique a déjà commencé à vendre les magnifiques bancs de bois, des statues et d'autres éléments de mobilier. L'orgue Casavant, datant de 1915, restera en place.

« On a regardé d'autres projets, un gym, une salle de spectacles, mais ils n'étaient pas viables économiquement », dit Lisette Lévesque.

Un espace sera conservé pour les célébrations religieuses, mais l'intérieur de l'église pourrait être transformé de façon importante. Les tours de culture pourraient être installées en plein centre de la voûte et dans le choeur, pour tirer profit de la hauteur du plafond, ou alors le long des fenêtres décorées de vitraux.

Puisqu'on en parle sur toutes les tribunes actuellement, est-ce qu'on envisage de cultiver du cannabis dans l'église ? « Pas encore ! », répond Martin Brault en riant.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Martin Brault, président d'Inno-3B, discute avec Nathan De Baets, conseiller en changement climatique de la PME.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Lisette Lévesque se démène depuis plusieurs années avec d'autres paroissiens pour trouver les moyens de payer l'entretien du vaste bâtiment, datant de 1852. À sa gauche, Robert Bérubé, maire de Saint-Pacôme.