« C'est comme si c'était hier. » Marie-Ève Lafleur a pourtant perdu son emploi chez Walmart il y a plus d'un an. Mais encore aujourd'hui, elle se souvient de chaque détail de sa dernière journée au travail et des pénibles mois qui ont suivi son départ non sollicité.

« Chaque jour pendant deux mois, je suis allée prendre un café au magasin. Des fois, j'étais assise et je me mettais à brailler. » La jeune femme ayant une déficience intellectuelle légère a oeuvré pendant cinq années au Walmart de Lachute, dans les Laurentides, où elle bénéficiait, en collaboration avec le CISSS de la région, d'un stage individuel.

Du jour au lendemain, son stage n'a pas été reconduit. Elle comprend exactement comment se sentent depuis vendredi les ex-participants au programme favorisant l'intégration des personnes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l'autisme que Walmart a décidé d'abolir après l'avoir offert pendant deux décennies.

« Je me suis sentie déchue, abandonnée. Dans ce temps-là, je mangeais bien, mais du jour au lendemain, ça ne voulait plus rien savoir. »

- Marie-Ève Lafleur, 26 ans

Elle a été cinq mois sans travail. Cinq longs mois pendant lesquels elle s'est isolée. « Ç'a été dur », confie-t-elle avec émotion.

Pour l'entrevue, Marie-Ève avait pris soin d'apporter une carte de souhaits que tous ses collègues ont signée avant qu'elle quitte l'employeur. « J'ai encore de la misère à la lire sans pleurer », admet-elle, montrant fièrement les nombreux mots d'amour. « Ils m'ont aussi donné un beau bouquet de fleurs. C'était comme si c'était ma propre famille. »

« JE FAIS AUSSI DU BON TRAVAIL »

En janvier 2017, elle parvient enfin à se trouver un nouvel emploi chez Tigre Géant avec l'aide notamment de son intervenante sociale. Elle y travaille avec son amie, Marie-Hélène Girouard. C'est chez cette dernière que La Presse a rencontré les deux femmes pour parler de leur travail, de ce que ces embauches représentent dans leur vie.

« On peut apporter de la joie. Je fais aussi du bon travail », lance Marie-Hélène, qui cumule aussi un emploi chez Tim Hortons. Dans les deux cas, les jeunes femmes touchent 10 $ par quart de cinq à six heures de travail par l'entremise d'un programme d'intégration fait entre autres en collaboration avec l'employeur et Emploi Québec. « On est aptes à travailler », martèle Marie-Ève.

« Elles sont aimées », assure le père de Marie-Hélène, Benoit Girouard. « Elles apportent quelque chose à leur travail pour leurs collègues et leurs clients aussi », dit-il. « Ce n'est pas une charité [que de leur faire une place en milieu de travail]. La réalité, c'est qu'elles apportent réellement quelque chose, elles ont des dons que nous n'avons pas. »

En voyant les manchettes vendredi, Marie-Hélène a tout de suite eu une pensée pour son amie parce qu'elle sait ce qu'elle a vécu après la perte son travail. Marie-Ève, elle, s'inquiète pour ceux qui ont reçu la mauvaise nouvelle.

« Ça m'enrage. Ces pauvres gens-là, ils sont mis à la porte. Qu'est-ce qu'ils font après ? Peut-être qu'ils n'ont pas notre encadrement. »

« Je l'ai vécu, assume-t-elle. Je faisais mon travail pour le bonheur de travailler, je me sentais à ma place. À ceux qui vont le vivre maintenant, je leur dirais juste de continuer, de foncer, de ne pas se laisser marcher sur les pieds. » C'est d'ailleurs ce que ses collègues lui ont dit le jour où elle a dû laisser « son petit monde » et elle les a écoutés.

Photo Bernard Brault, La Presse

En plus de travailler chez Tigre Géant, Marie-Hélène Girouard cumule un emploi chez Tim Hortons.