Après plus de deux ans d'une enquête baptisée Médiator, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) a arrêté jeudi l'ancien maire de Terrebonne Jean-Marc Robitaille ainsi que quatre autres personnes accusées d'abus de confiance et de corruption dans les affaires municipales.

Ensemble, M. Robitaille, son chef de cabinet Daniel Bélec, le directeur général de la Ville Luc Papillon, l'entrepreneur Normand Trudel et l'ancien président de la firme d'ingénierie Leroux Beaudoin Hurens et Associés (LBHA), Jean Leroux, auraient été impliqués dans un système de partage de contrats municipaux. En échange de changements de zonage avantageux ou d'informations privilégiées dans le cadre d'appels d'offres publics de la Ville, des entrepreneurs et des firmes d'ingénierie auraient donné des pots-de-vin à MM. Robitaille, Bélec et Papillon. Ces derniers auraient notamment bénéficié de voyages à l'étranger, de voyages de chasse et de pêche ainsi que de ristournes en argent.

Le système aurait été mis en place dès 2001, soit au moment de la fusion volontaire des villes de Lachenaie, La Plaine et Terrebonne. Le maire de La Plaine était à l'époque Daniel Bélec, et Terrebonne était dirigée par Jean-Marc Robitaille. L'UPAC estime que le stratagème aurait fonctionné jusqu'en 2012, ce qui correspond au moment de l'arrestation de Normand Trudel et de Jean Leroux dans un autre dossier de corruption municipale, dans la ville voisine de Mascouche.

MANDAT DE RECHERCHE

Tôt jeudi matin, les enquêteurs de l'UPAC ont procédé à l'arrestation de MM. Bélec, Papillon, Trudel et Leroux. Un mandat de recherche a été lancé pour retrouver l'ex-maire Robitaille, qui n'était pas à sa résidence. Son avocat Daniel Rock a dénoncé ce qu'il assimile à une mise en scène de la police.

Quoi qu'il en soit, quelques heures plus tard, M. Robitaille a été arrêté à son chalet de Saint-Jean-de-Matha. Ce chalet aurait bénéficié de rénovations et d'un agrandissement financés par l'entrepreneur Normand Trudel, dont l'entreprise, Transport et Excavation Mascouche, aurait obtenu des déductions fiscales grâce à de fausses factures, selon la portion de l'enquête menée par l'Agence du revenu du Québec.

L'automne dernier, l'UPAC a obtenu une ordonnance d'un tribunal pour empêcher M. Robitaille et sa conjointe Monique Guilbault de vendre leur chalet, considéré comme un possible produit de la corruption. Le blocage de biens correspond à une somme de 93 887 $.

Une seule personne qui avait été visée par l'enquête Médiator n'a pas été arrêtée. Il s'agit de l'ancien conseiller municipal Michel Morin, qui a siégé à la Régie d'aqueduc intermunicipale des Moulins (RAIM). Vers 7 h jeudi, des policiers se sont présentés à la résidence de M. Morin, qui habite un immeuble de condos. Ils ont demandé à un voisin s'il savait où se trouvait M. Morin ; ce voisin est le conseiller municipal Simon Paquin, de la nouvelle équipe en place depuis l'élection de novembre dernier. L'UPAC n'a donné aucun détail concernant M. Morin. Selon les informations recueillies, il serait à l'extérieur du pays.

Les cinq individus arrêtés ont été conduits au quartier général de la Sûreté du Québec, à Montréal, où ils ont été interrogés. Par la suite, ils ont tous été relâchés avec promesse de comparaître le 2 mai prochain, au palais de justice de Saint-Jérôme.

À sa sortie en fin d'après-midi, Jean-Marc Robitaille a refusé de commenter la situation. « Je ne suis pas surpris. Je suis soulagé de savoir où on s'en va après un an et demi », a-t-il laissé tomber avant de s'engouffrer dans une voiture.

CRISE POLITIQUE

En juillet 2016, une série de perquisitions menées à Terrebonne, notamment à l'hôtel de ville, a suscité une véritable crise politique. Rapidement, le maire Robitaille est parti en congé de maladie, avant de démissionner en novembre. Entre-temps, des élus ont quitté son équipe politique.

MM. Bélec et Papillon ont également quitté leur poste en réclamant chacun une indemnité de départ et l'accès à leur régime de retraite respectif. Le maire intérimaire Stéphane Berthe a conclu une entente, entérinée par le conseil municipal, qui a permis aux deux hommes d'empocher près d'un demi-million de dollars, en sus de leur fonds de retraite.

Les arrestations ont été reçues avec soulagement du côté de la nouvelle administration municipale de Terrebonne. L'actuel maire Marc-André Plante n'a pas caché sa satisfaction que les personnes arrêtées puissent répondre de leurs gestes si elles sont reconnues coupables. 

« Je souhaite qu'il s'agisse d'un pas de plus pour permettre aux citoyens de Terrebonne de connaître toute la vérité sur les allégations qui circulent depuis quelques années », a dit Marc-André Plante, maire de Terrebonne, en conférence de presse.

Du côté de l'opposition, le conseiller municipal André Fontaine s'est dit « absolument heureux » de l'opération policière. « J'espère qu'on va pouvoir faire la lumière sur cette période sombre de l'histoire locale », a-t-il ajouté.

Au cours des prochaines semaines, l'administration Plante doit mettre en place un bureau d'éthique en collaboration avec le Bureau d'intégrité et d'éthique de Laval (BIEL). Les deux organisations pourraient ainsi partager les ressources, les coûts et l'expertise pour faire échec à des situations de corruption et de collusion.

Qui sont les accusés ?

Jean-Marc Robitaille

Député fédéral de Terrebonne de 1988 à 1993, élu sous la bannière du Parti conservateur. Élu une première fois maire de Terrebonne en 1997. Il démissionne le 8 novembre 2016 sous la pression de l'enquête policière de l'UPAC. M. Robitaille a séjourné à deux reprises sur le Touch, le bateau de l'entrepreneur Tony Accurso, aux frais de ce dernier.

Daniel Bélec

Attaché politique du député péquiste Yves Blais de 1981 à 1998. Par la suite, il devient maire de La Plaine jusqu'à la fusion avec Terrebonne et Lachenaie en 2001. Il devient alors chef de cabinet du maire Jean-Marc Robitaille jusqu'à son départ en 2016.

Luc Papillon

En 2001, il est embauché par Terrebonne comme consultant pour la fusion municipale. En 2004, il devient directeur général adjoint de la Ville, puis directeur général. Il est retiré de ses fonctions en octobre 2016 et son contrat est résilié en juin 2017. Auparavant, il avait été directeur général de la municipalité de Sainte-Anne-de-Sorel, de 1992 à 1999.

Jean Leroux

Ancien ingénieur associé de la firme Leroux Beaudoin Hurens et Associés (LBHA). Il est arrêté dans le cadre de l'enquête sur la corruption municipale à Mascouche, en 2012.

Normand Trudel

Entrepreneur, propriétaire de Transport et Excavation Mascouche et ami de longue date du maire Robitaille. L'année dernière, il a écopé de 15 mois de prison pour avoir favorisé la réélection du défunt maire de Mascouche Richard Marcotte.