Alors qu'un sondage suggère qu'un soldat sur cinq consomme du pot régulièrement, la Défense nationale vient de lancer un appel d'offres pour acheter 26 « trousses de simulation de marijuana » incluant des lunettes visant à sensibiliser ses troupes à « l'utilisation néfaste et dangereuse du cannabis ».

Les trousses devront être livrées d'ici le 30 avril et inclure « cinq activités stimulantes différentes qui sensibilisent les participants » aux dangers du cannabis ainsi que « deux cents paquets de labyrinthes recto verso testant la fonction exécutive » et « six balles d'activités » de couleurs différentes, précise l'appel de soumissions.

Le contrat pourrait coûter jusqu'à 170 000 $ sur cinq ans pour acquérir ces trousses « pédagogiques » et faire « expérimenter directement » aux soldats l'effet du cannabis. Alors que le gouvernement Trudeau s'apprête à légaliser la consommation à des fins récréatives, le document souligne que 20,2 % des soldats qui ont participé à un sondage récent ont déclaré avoir consommé de la marijuana au cours du dernier mois.

UN SEUL FOURNISSEUR POSSIBLE

Toutes les exigences de l'appel d'offres portent à croire que la Défense a une préférence marquée pour une trousse à 999 $US appelée « Fatal Vision », vendue par l'entreprise Innocorp LTD, du Wisconsin. L'entreprise a déjà vendu des lunettes semblables qui simulent l'effet de l'alcool à différents ministères canadiens.

Sa trousse pour la marijuana, dûment brevetée aux États-Unis et enregistrée à l'Office canadien de la propriété intellectuelle, inclut des lunettes munies d'un filtre bloquant le passage de certaines couleurs et altérant la vision en « déviant la ligne de vue », lit-on dans les documents de brevet.

« Nous ne cherchons d'aucune façon à répliquer un high tel qu'il peut être ressenti, a expliqué à La Presse Jamie Stebbeds, directeur des ventes chez Innocorp LTD. Le but est d'utiliser les filtres pour simuler l'effet du cannabis sur la capacité du cerveau à traiter l'information. » 

« En jouant sur la perception des couleurs et en forçant des réactions rapides des participants, on les sensibilise au fait que leur temps de réaction est nettement ralenti par la substance. »

Pour le consultant en pédagogie Gilles Chamberland, coauteur du livre Jeu, simulation et jeu de rôle (Presses de l'Université du Québec), un tel dispositif peut paraître loufoque à première vue, mais peut s'avérer efficace s'il est bien utilisé. « Trop souvent, l'effort est trop mis sur l'équipement technologique. Si c'était moi qui développais ce projet, je miserais sur la valeur pédagogique d'une bonne discussion qui suit la simulation », dit-il.

« Il faut aussi faire le deuil de certains éléments de la réalité qu'on ne pourra jamais simuler avec ces dispositifs, ajoute le spécialiste. Il faut faire des bons choix. Une bonne simulation a sa valeur pas seulement dans la quincaillerie. »

RISQUES DE DOULEURS THORACIQUES

Les Forces armées canadiennes (FAC) interdisent l'utilisation de la marijuana, officiellement à cause des risques de douleurs thoraciques qu'elle pourrait provoquer lors d'un effort intense. « Dans une situation de combat, il faut être en mesure de supporter un effort physique extrême en tout temps, c'est un grave problème que d'avoir l'impression d'avoir une crise cardiaque chaque fois qu'on doit courir », prévient un site de la Défense nationale destiné aux militaires.

« Cette initiative permettra de s'assurer que les militaires des FAC occupant des postes de direction seront en mesure d'identifier les signes de consommation de drogues interdites, d'aider à détecter ces drogues, et de fournir des conseils en matière d'usage interdit de drogues », a indiqué le bureau des relations publiques de l'armée dans un courriel.