Au moins trois des quatre agents présents au palais de justice de Maniwaki au moment où un constable spécial a ouvert le feu sur un jeune homme, fin janvier, étaient tenus de s'interposer physiquement et de prêter assistance à l'agent de la paix, a appris La Presse.

Le 31 janvier dernier, Steven Bertrand a été atteint d'une balle à la tête au terme d'une altercation avec un constable spécial. Sur une vidéo de l'événement filmée par un témoin et publiée sur les réseaux sociaux, on voit trois agents de sécurité de la société Garda et un autre de la firme Sécurité Outaouais. Ce dernier était embauché par le ministère de la Sécurité publique, responsable du personnel de sécurité dans les palais de justice de la province. Quant aux employés de Garda, ils se trouvaient sur les lieux à la demande d'un autre organisme public de la région.

La Presse a pu confirmer que le mandat confié à Garda prévoyait que les agents devaient « assurer l'encadrement physique [des prévenus] à tous les niveaux ». 

De son côté, le ministère de la Sécurité publique s'est contenté de souligner qu'« aucune directive n'interdit aux agents d'intervenir lors d'une altercation ».

Il n'a pas été possible d'obtenir davantage de détails vu l'enquête en cours du Bureau des enquêtes indépendantes.

Les gardiens de sécurité concernés auraient pour leur part eu une rencontre avec leurs employeurs au début de la semaine. Ni Garda ni Sécurité Outaouais ne nous ont rappelé.

« PROCÉDURES CLAIRES » RÉCLAMÉES

Patrick Pellerin, président du Syndicat des agentes et agents de sécurité du Québec (affilié au Syndicat des Métallos, section locale 8922), invite toutefois à la prudence.

« Il arrive que des clients disent avoir fait la demande, mais que les tâches ne soient pas inscrites au contrat. Pour nous, si ce n'est pas demandé sur papier, ce n'est pas viable », a dit M. Pellerin en entrevue téléphonique.

« Demander des procédures claires, c'est un combat qu'on mène à longueur d'année. »

La Presse n'a pas été en mesure de consulter le document décrivant le mandat de Garda. M. Pellerin a par ailleurs affirmé être lui-même encore au stade de la cueillette d'informations sur l'altercation de Maniwaki.

Selon lui, les limites de la fonction d'agent de sécurité à l'intérieur d'un palais de justice ne sont pas suffisamment circonscrites.

Il faut savoir qu'un agent de sécurité n'est pas investi des mêmes pouvoirs qu'un constable spécial. L'agent de sécurité, notamment, ne peut pas pratiquer d'arrestations ou passer les menottes à un prévenu. Ses droits, rappelle M. Pellerin, sont ceux d'un citoyen ordinaire, et sa mission reste de rapporter les événements aux forces de l'ordre.

« C'est sûr que quand on voit quelqu'un se faire agresser, je ne peux pas être en accord si les agents ne bougent pas du tout, nuance-t-il. Mais je veux bien comprendre la situation avant de lancer la pierre. »

« Par exemple, illustre-t-il, les agents qui supervisent le transport de prévenus, ils sont responsables du [détenu] pendant le trajet, mais rendus au palais, est-ce que ça devient la responsabilité du constable spécial ? C'est une ligne mince qui gagnerait à être définie. »

Pour Franck Perales, président du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec (SCSGQ), il n'y a pas de confusion : « Comme tous les citoyens, un agent de sécurité doit porter assistance à quelqu'un qui lui demande de l'aide si ça ne met pas sa vie en danger. Si un agent de la paix a besoin d'aide, un agent de sécurité a le pouvoir de l'aider. »

Dans l'accident de Maniwaki, il ne fait aucun doute, pour M. Perales, que les agents de sécurité ont failli à leur tâche. « Dans la vidéo, on entend le constable demander de l'aide, et personne n'agit. Au nombre qu'ils étaient, les agents de sécurité auraient pu maîtriser le jeune homme et éviter ce malheureux événement. »

FORMATION

Depuis des années, le SCSGQ réclame davantage de constables spéciaux dans les palais de justice de la province. Les agents de sécurité, argue-t-il, n'ont pas la formation suffisante pour les assister dans leur travail.

Pour exercer son métier au Québec, un agent de sécurité doit posséder un permis de gardiennage (surveillance ou protection de personnes, de biens ou de lieux) délivré par le Bureau de la sécurité privée (BSP). Pour ce faire, il doit d'abord réussir une formation de 70 heures dispensée dans une commission scolaire. Les techniques d'intervention physique sont couvertes dans un module de 30 heures au nom très large de « milieu, fonction, législation et normes de comportement », nous a écrit une porte-parole du BSP.

Les agents dont on s'attend qu'ils pratiquent de telles interventions sur une base régulière dans le cadre de leur travail doivent donc recevoir une formation additionnelle. Et, en vertu de leur convention collective, ils recevront une prime de 1,25 $ l'heure.

Un problème apparaît, selon Patrick Pellerin, quand des clients présument que les agents peuvent procéder à des interventions, mais sans en faire la demande clairement. Il est donc possible, effectivement, que des agents ne soient pas assez formés.

« On fait beaucoup de prévention pour que les agents soient formés adéquatement, insiste M. Pellerin. Et si leur employeur ne veut pas collaborer, on demande à un inspecteur en santé-sécurité de s'en mêler. »

Il n'a toutefois pas été possible de savoir si les gardiens de sécurité du palais de justice de Maniwaki disposaient de la formation nécessaire pour une intervention physique.