Les promoteurs du 24 h Tremblant affirment que le populaire événement constitue un modèle en matière de philanthropie sportive. L'étude des états financiers de la fondation responsable révèle cependant qu'une part substantielle des revenus générés est absorbée par les dépenses nécessaires à sa tenue. Au point de susciter les critiques d'une ONG spécialisée, qui remet en question l'efficacité de cette approche pour récolter des fonds.

Le 24 h Tremblant constitue-t-il, comme l'affirment les promoteurs de l'événement, un modèle à suivre en matière de philanthropie ? Ou une manière inefficace de récolter des fonds pour venir en aide aux jeunes dans le besoin ?

Pour la directrice de Charity Intelligence, Kate Bahen, qui se spécialise dans l'analyse de la performance financière des organismes de bienfaisance, la réponse ne fait pas de doute.

L'organisation torontoise, qui a passé au crible les états financiers vérifiés de près de 700 de ces organismes à l'échelle du Canada, estime que les chiffres contenus dans les documents de la Fondation 24 h Tremblant sont préoccupants.

Mme Bahen juge que les frais d'administration et les dépenses requises pour l'organisation de l'événement font en sorte qu'environ 50 cents sur chaque dollar de don reçu sont ultimement reversés à des organisations de bienfaisance bénéficiaires.

Ce chiffre, souligne-t-elle, a varié entre 45 et 55 cents selon les états financiers pour les exercices financiers de 2014 à 2017, que La Presse a consultés.

En utilisant une méthodologie uniforme pour l'ensemble des organismes de bienfaisance, Charity Intelligence a calculé que la moyenne au pays est de 75 cents reversés par dollar de don reçu et varie normalement entre 65 cents et 95 cents.

La Fondation 24 h Tremblant se retrouve sur ce plan dans une zone jugée « déraisonnable » par Charity Intelligence.

Les frais administratifs, de l'ordre de 4 %, ne posent pas de problèmes, mais les dépenses engagées pour la tenue de l'événement sont beaucoup trop élevées, juge Mme Bahen.

LA FONDATION SE DÉFEND

La Fondation 24 h Tremblant affirme que la méthodologie utilisée par Charity Intelligence est erronée et rejette catégoriquement ses conclusions.

Pierre Rodrigue, un des administrateurs indépendants siégeant au conseil de la fondation, affirme que l'organisation remet à des organismes de bienfaisance ciblés plus de 70 cents pour chaque dollar de don reçu.

Selon les calculs effectués par la fondation, 77 cents de chaque dollar de don reçu ont été reversés pour l'édition du 24 h Tremblant de décembre 2016. Pour l'édition de décembre 2015, la somme correspondante était de 78 cents. Elle était plutôt de 67 cents et de 66 cents pour celles de 2013 et 2014.

UN DIFFÉREND MÉTHODOLOGIQUE

La différence importante entre les résultats calculés par la fondation et ceux de Charity Intelligence découle surtout de la manière dont sont considérées les commandites recueillies dans le cadre de l'événement. La Fondation 24 h Tremblant estime qu'elles doivent être exclues du calcul permettant d'évaluer le pourcentage de dons reversés, ce qui tend à faire augmenter le résultat.

Le producteur exécutif du 24 h Tremblant, Simon St-Arnaud, note que les entreprises qui s'y associent à titre de commanditaires savent que l'argent versé ne constitue pas un don et doit servir à couvrir les dépenses engagées pour tenir l'événement. « C'est un échange commercial », affirme-t-il en relevant que les firmes concernées obtiennent une visibilité prisée.

Les personnes qui paient des droits d'inscription pour constituer une équipe participant à la journée d'activités savent aussi que ces sommes ne sont pas des dons et servent à couvrir les frais de gestion, ajoute M. St-Arnaud. « C'est très clair pour tout le monde », assure-t-il.

Kate Bahen maintient que les revenus de commandites doivent aussi être considérés dans le calcul pour évaluer correctement la performance financière de la fondation.

Elle se réfère notamment aux lignes directrices de l'Agence du revenu du Canada (ARC) qui les considèrent pour évaluer la proportion des dépenses liées aux activités de financement des organismes de bienfaisance. La méthodologie utilisée tient compte à la fois des revenus ayant mené à la remise d'un reçu pour fin d'impôt et les autres.

UN CRITÈRE NON PERTINENT ?

En appliquant cette méthodologie aux données financières fournies par la fondation au gouvernement, La Presse a calculé que les dépenses liées aux activités de financement représentaient entre 42 et 48 % de l'argent recueilli par la Fondation 24 h Tremblant pour les années financières de 2014 à 2017.

L'ARC précise dans ses lignes directrices qu'un ratio supérieur à 35 % est susceptible de susciter des questions et peut ultimement mener à une évaluation plus approfondie. Un résultat supérieur à 70 %, précise-t-on, suscitera immédiatement « des préoccupations » et devra être justifié pour démontrer que l'organisme de bienfaisance concerné ne s'adonne pas à des « activités de financement inacceptables ».

« On ne s'est jamais senti guidé par ce critère-là », souligne M. Rodrigue en relevant que la structure du 24 h Tremblant « coûte cher », mais n'est pratiquement pas assumée par les donateurs.

Leurs dons, précise-t-il, servent à couvrir un peu plus de 20 % des dépenses, le reste étant payé par les commandites et les droits d'inscription.

L'administrateur indique que l'événement est très différent de ce que font les autres organisations qui recueillent par exemple des fonds par des encans ou des envois postaux, et qu'il faut en tenir compte.

M. Rodrigue ajoute que la Fondation 24 h Tremblant n'a jamais reçu de commentaires critiques de la part de l'ARC au sujet de ses dépenses ou de sa performance.

UNE ACTIVITÉ DE VÉLO PROBLÉMATIQUE

L'organisation, assure l'administrateur, est « gérée au scalpel » et n'a pas hésité à interrompre il y a quelques années une autre activité de philanthropie sportive, pour les adeptes de vélo, parce qu'elle ne générait pas assez de revenus.

Les états financiers traitant de la dernière édition de l'événement de vélo, en 2014, indiquent que des dépenses de 504 177 $ ont été enregistrées pour sa tenue alors que les revenus étaient de 633 011 $. Les dépenses représentaient donc 80 % de l'argent recueilli. En excluant les commandites de 203 116 $, les dépenses excédaient largement les dons recueillis.

Pour cette édition, 32 cents sur chaque dollar de don reçu étaient reversés à des organismes bénéficiaires, relève la fondation, en excluant du calcul les commandites. Le taux global, en incluant l'activité de ski, était de 67 cents par dollar de don reçu.

L'ARC, note M. Rodrigue, aurait pu intervenir pour sonner l'alarme à ce sujet, mais ne l'a pas fait. « On a essayé quelque chose, mais ça n'a pas marché. On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs », résume-t-il.

La tenue du 24 h Tremblant de ski et de course en décembre est beaucoup plus rentable et a permis de verser des millions de dollars à des organisations de bienfaisance qui tiennent mordicus à ce que l'événement se poursuive, relève M. Rodrigue.

« AVOIR DU FUN »

Les participants se voient offrir une occasion « d'avoir du fun » et qui permet du même coup de recueillir des sommes importantes, relève l'administrateur, qui se dit très satisfait des résultats financiers obtenus par l'organisation depuis l'élimination du volet vélo.

Kate Bahen pense que le divertissement des participants prend trop de place et empiète, par les coûts qu'il entraîne, sur l'objectif officiel de la fondation, qui est de récolter des fonds pour les enfants dans le besoin.

« C'est certain, si vous participez à un événement de levée de fonds de ce type, que vous allez vous amuser. Mais ne vous illusionnez pas en pensant que les dons sont utilisés de manière optimale », conclut-elle.

« Ils peuvent opiner comme ils veulent. Il n'y a pas d'autre événement comme le nôtre », rétorque M. Rodrigue.

Dominique Boies, qui siège au conseil d'administration de la Fondation Charles-Bruneau, l'un des organismes bénéficiaires du 24 h Tremblant, pense que Charity Intelligence fait fausse route en se focalisant sur le niveau de dépenses sans tenir compte de ce que les dollars investis peuvent générer comme rentrées d'argent.

« S'il n'y avait pas de 24 h Tremblant, est-ce que les gens resteraient chez eux et donneraient quand même près de 4 millions de dollars de dons à la fondation ? C'est ça, la vraie question », dit-il.

>> Lisez le reste du dossier de Marc Thibodeau sur La Presse +:

Des administrateurs en commun

Des dons de fondation en fondation

En bref

QU'EST-CE QUE CHARITY INTELLIGENCE ?

Charity Intelligence est un organisme établi à Toronto qui analyse les résultats financiers des organismes de bienfaisance en vue d'aider les Canadiens à « donner intelligemment ». Il diffuse sur son site internet les analyses menées sur plus de 700 organismes de bienfaisance du pays et donne une cote à chacun d'entre eux basée sur différents critères, incluant l'importance de ses dépenses et son niveau de transparence. Les analyses sont produites après obtention des états financiers validés des organismes. En cas de refus de collaboration, les documents sont obtenus par des demandes d'accès à l'information auprès de l'Agence du revenu du Canada, qui chapeaute le secteur.

LE 24 h TREMBLANT EN UN COUP D'OEIL

L'événement philanthropique, très couru, est chapeauté par la Fondation 24 h Tremblant. Il est organisé depuis le début des années 2000 à la station de ski Mont-Tremblant afin de recueillir des fonds pour les enfants malades et défavorisés. Les participants forment des équipes de relais pour courir, marcher ou skier pendant 24 heures et recueillent des dons dans ce contexte. Plus de 3300 athlètes ont participé à la plus récente édition il y a 10 jours, qui a permis de recueillir près de 3,9 millions de dollars de dons. L'événement attire plus de 25 000 personnes chaque année, selon les organisateurs. Près de 2,5 millions de dollars sur la somme de 4,7 millions de dollars recueillie lors de l'édition de 2016, incluant 3,2 millions de dons, ont été distribués à des organisations de bienfaisance désignées. Les trois principaux bénéficiaires sont la Fondation Charles-Bruneau, la Fondation des Sénateurs d'Ottawa et la Fondation Tremblant. 

ACCÈS LIMITÉ AUX ÉTATS FINANCIERS

La Fondation 24 h Tremblant ne publie pas en ligne ses états financiers vérifiés. L'un des administrateurs de la fondation, Pierre Rodrigue, a indiqué en entrevue que l'organisation ne diffusait pas publiquement ces documents pour ne pas « donner sa recette » à des groupes qui souhaiteraient s'en inspirer pour organiser un événement similaire. Kate Bahen, de Charity Intelligence, note que la vaste majorité des organismes de bienfaisance d'envergure au pays rendent aujourd'hui leurs états financiers disponibles par l'entremise de leur site internet. Des renseignements financiers partiels sont par ailleurs accessibles par l'entremise du site de l'Agence du revenu du Canada. « Qu'est-ce que ça peut représenter comme effort de mettre le PDF des états financiers en ligne ? », demande-t-elle.