Il se disait vétérinaire et vétéran de la guerre d'Afghanistan. Il n'était ni l'un ni l'autre. Bien qu'il se soit inventé un diplôme et un passé militaire, Michel-Éric Castonguay a obtenu une autorisation de sécurité de niveau 2 (secret) nécessaire pour devenir attaché politique de deux ministres à Ottawa.

En 2010-2011, M. Castonguay a travaillé successivement pour Christian Paradis et Denis Lebel, alors ministres conservateurs dans le cabinet de Stephen Harper. Comme tous les futurs employés du gouvernement fédéral, M. Castonguay a fait l'objet d'une enquête préalablement à son embauche.

Malgré cette enquête, personne n'a relevé, à l'époque, que son curriculum vitae était truffé de mensonges.

La Presse a rapporté mardi que, contrairement à ce qu'il avait soutenu pendant des années, Michel-Éric Castonguay n'avait jamais servi dans l'armée. Il n'est pas davantage titulaire d'un doctorat en médecine vétérinaire de l'Université de Glasgow, en Écosse.

« Toutes les démarches nécessaires avaient été faites par l'équipe, assure Denis Lebel, ancien ministre d'État à l'Agence de développement économique Canada pour les régions du Québec. Il fallait toujours faire des enquêtes de sécurité pour les employés, en fonction de ce qu'ils avaient comme responsabilités. »

Pourtant, si le travail avait été effectué dans les règles établies par le gouvernement fédéral, M. Castonguay ne serait pas passé à travers les mailles du filet. La « Norme sur la sécurité du personnel », en vigueur à l'époque où M. Castonguay a été embauché, exigeait en effet de s'assurer de la fiabilité des employés.

La Norme exigeait notamment « une vérification des données personnelles, des études, des titres et des qualités professionnelles et des données sur l'emploi ainsi que des références. »

- Alain Belle-Isle, porte-parole du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Ce filtrage de sécurité des fonctionnaires et du personnel politique a été instauré dans les années 80 « afin de protéger les intérêts et la sécurité du gouvernement du Canada et de sa population », ajoute le porte-parole.

Trois niveaux de sécurité sont attribués aux employés du gouvernement fédéral. En vertu de la présente Norme et de celle qui l'a précédée, « toutes les personnes travaillant dans les cabinets des ministres [...] doivent obtenir une autorisation de sécurité de niveau 2 [secret] avant leur nomination ».

M. Castonguay a travaillé deux mois au cabinet de Christian Paradis, alors ministre des Travaux publics, avant d'être recruté au cabinet de M. Lebel. Il y est resté « quelques semaines ou quelques mois » avant d'être congédié, selon M. Lebel. « Il avait un rôle de support à la période de questions. Il faisait juste préparer des documents ou des réponses que je devais donner. À mon souvenir, on s'est départi de lui parce que son travail ne répondait pas à nos attentes. »

Ce n'est que « quelques années » plus tard que M. Lebel a entendu parler de « certains écarts » dans le CV de son ancien employé.

M. Lebel ne s'inquiète pas du fait qu'un affabulateur ait pu avoir accès à son cabinet aussi facilement. « Les fins détails de sa carrière, ce n'était pas important pour moi. Il a passé le test du casier judiciaire, c'était l'essentiel que nous avions à savoir. »

Contacté lundi par La Presse, M. Castonguay a refusé de commenter l'affaire.

CANDIDAT AUX ÉLECTIONS

Pendant des années, des membres importants du Parti conservateur du Canada ont cru au passé inventé de M. Castonguay. Pendant des années, ils lui ont accordé toute leur confiance.

Le sénateur Ghislain Maltais l'a connu en 2009. « J'étais organisateur pour le Parti conservateur, raconte-t-il. Il s'était présenté à moi comme vétérinaire qui avait un doctorat de l'Université de Glasgow. Il était un ancien militaire blessé en Afghanistan. »

En 2009, M. Castonguay était président de l'Association du Parti conservateur dans Montmagny-L'Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup et organisateur de la campagne de Bernard Généreux.

Ce dernier n'a jamais remis en doute le passé de M. Castonguay.

Le sénateur Maltais et le député Généreux affirment tous deux avoir appris la vérité en lisant La Presse+ cette semaine.

Peu après son passage à Ottawa, M. Castonguay a brigué les élections fédérales sous la bannière conservatrice. « J'étais le directeur du Parti [au Québec], se rappelle le sénateur Maltais. Les candidats que je recrutais faisaient tous l'objet de la même enquête, pour savoir s'ils avaient des antécédents judiciaires. C'est la seule enquête que je faisais à l'époque. »

C'est ainsi que M. Castonguay a pu faire campagne dans la circonscription Montmorency-Charlevoix-Haute-Côte-Nord, au printemps 2011, en se présentant aux électeurs comme un vétérinaire et un ancien militaire.

UNE MÉDAILLE POUR UN MIRAGE

En 2012, le sénateur Ghislain Maltais a attribué la Médaille du jubilé de diamant de la reine Élisabeth II à Michel-Éric Castonguay, sur la base de faits d'armes tout aussi impressionnants qu'imaginaires. « J'ai remis environ 15 médailles à des militaires. On envoyait [des suggestions] au gouverneur général, et c'est le gouverneur général qui décidait », se défend le sénateur.

Au bureau du gouverneur général du Canada, on réplique que les sénateurs avaient été désignés pour choisir des récipiendaires de cette médaille selon un processus « objectif et basé sur le mérite ». Il revient donc aux sénateurs « de répondre aux questions portant sur le choix des récipiendaires qu'ils ont décidé d'honorer avec cette médaille », dit la porte-parole Marie-Pierre Bélanger.

La Médaille du jubilé de diamant est la seule décoration que M. Castonguay ait légitimement portée lors de ses multiples apparitions en uniforme militaire, bardé de décorations et d'insignes qui ne lui avaient jamais été attribuées. Stolen Valour Canada, un groupe formé de vétérans des Forces armées, a dénoncé l'imposture sur sa page Facebook la semaine dernière.

Jusqu'à tout récemment, M. Castonguay était attaché politique du député libéral provincial de Montmorency, Raymond Bernier. Ce dernier avait été prévenu par les Forces armées dès l'été 2014 que M. Castonguay revêtait l'uniforme en public - une infraction criminelle en vertu de la loi canadienne. Le député avait alors demandé à son attaché politique de remettre son uniforme et ses médailles à l'armée.