Les larmes ont coulé lors de la première journée d'audiences publiques de l'enquête fédérale sur les femmes autochtones assassinées et disparues au pays. Deux femmes innues de la Côte-Nord ont, entre autres, allégué avoir été violées par des policiers de la police municipale de Schefferville il y a des dizaines d'années. Elles disent en souffrir encore aujourd'hui.

« Je veux de l'aide. Je veux être bien. » Deborah Einish, de la communauté de Matimekush-Lac John (Schefferville), au nord de Sept-Îles, a parlé à coeur ouvert de ce qu'elle aurait vécu, un soir des années 80. Elle aurait été amenée au poste de police pour une histoire de bagarre et incarcérée pour la nuit. Selon ce qu'elle rapporte, un policier lui aurait administré une drogue.

Quand elle a repris connaissance, elle prétend que son pantalon était descendu. À l'époque des événements présumés, Mme Einish était enceinte.

L'an dernier, Mme Einish a déposé une plainte au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) contre les deux policiers qui l'auraient agressée. En novembre, elle explique avoir été informée par un procureur qu'aucune accusation ne serait portée dans son dossier.

Il faut rappeler que le SPVM a été mandaté par Québec dans la foulée de la diffusion du reportage de l'émission Enquête sur les femmes autochtones de Val-d'Or, à l'automne 2015, pour enquêter sur les cas allégués d'agression sexuelle ou physique à l'endroit d'autochtones par les forces policières. La deuxième phase des enquêtes n'est pas encore terminée.

Dans la première phase, des accusations ont été déposées dans seulement 2 des 37 dossiers soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales. Ces deux cas impliquent des ex-policiers de Schefferville, dont l'un s'est suicidé depuis.

LA FIN DU SILENCE

« Je ne peux plus me taire », a pour sa part révélé Lise Jourdain, une Innue de Uashat, sur la Côte-Nord. Elle aussi allègue avoir été violée par un policier à Schefferville. L'époque n'a pas été précisée hier. Mme Jourdain a ensuite sombré dans la drogue et l'alcool. Elle a tenté de mettre fin à ses jours trois fois. C'est un retour aux sources dans la forêt qui l'a sauvée, dit-elle.

L'aînée choisit aujourd'hui d'ouvrir sa porte aux femmes et aux filles victimes de sévices. « Je voulais faire une plainte contre le policier, mais j'ai choisi de mettre ça de côté et d'accompagner les femmes et les enfants le plus que je pouvais », a-t-elle exprimé avec beaucoup d'émotion, hier. « Je comprends que quand tu vis une agression sexuelle, tu marches sans filet. »

MORT VIOLENTE À PESSAMIT

La mère et la soeur d'Adèle Patricia Vachon-Bellefleur ont, à leur tour, livré un poignant témoignage racontant la mort violente de l'adolescente de 17 ans, le 1er juillet 2011. La jeune Innue n'est jamais rentrée d'une sortie entre amies dans la communauté de Pessamit, près de Baie-Comeau. Son corps a été retrouvé dans le stationnement de la salle communautaire.

Elle se serait battue avec d'autres filles de la communauté. Une jeune adulte avait par ailleurs été accusée d'homicide involontaire dans cette affaire, mais le ministère public a retiré les accusations puisque l'autopsie de la jeune Vachon-Bellefleur ne permet pas de conclure qu'elle est morte des coups qui lui ont été infligés. Elle aurait plutôt fait un arrêt cardiaque.

Il reste que son départ tragique a plongé sa famille dans un sombre chapitre, qu'elle peine à clore encore maintenant. L'ami de coeur de l'adolescente et une de ses amies se sont donné la mort peu de temps après le drame. « Je n'en pouvais plus, j'étais découragée », a raconté sa mère, Gilberte Vachon, qui vit encore avec les séquelles de la mort de sa plus jeune fille.

La mère et sa fille aînée cherchent toujours des réponses. « On veut que les choses soient éclaircies, qu'on puisse amorcer notre deuil », a indiqué la grande soeur, Andrée Vachon. Elles déplorent ne pas connaître les détails de l'enquête et le fait de n'avoir obtenu aucun soutien psychologique par la suite. Elles suivent encore toutes deux des thérapies.

L'Enquête fédérale sur les femmes autochtones assassinées et disparues se déploie toute la semaine à Mani-Utenam, une communauté innue située à une dizaine de kilomètres à l'est de Sept-Îles. Une quarantaine de témoignages doivent être recueillis en audiences publiques, mais aussi à huis clos lors des cinq jours de l'enquête.

Ce premier arrêt sur le sol québécois revêt une importance particulière parce qu'il se tient dans la communauté où la commissaire Michèle Audette a grandi. L'enquête nationale examine les causes systémiques liées à la violence envers les femmes autochtones.

Des enfants aussi disparus

Le poupon d'Armand et de Madeleine Echaquan a été évacué de la communauté de Manawan pour soigner une pneumonie, en 1973. Le couple atikamekw n'a jamais revu sa fillette de 3 mois vivante. Plus de 40 ans plus tard, il n'a toujours aucune preuve de sa mort et la croit encore bien en vie, mais ailleurs.

Ce n'est qu'un mois après son départ pour l'hôpital de Joliette que les parents ont été informés que leur bébé n'avait pas survécu à la maladie. « Quand ma mère est arrivée au salon funéraire, elle a demandé : "C'est bien mon bébé qui est là-dedans ?" parce que le bébé dans le cercueil avait l'air d'avoir 9-10 mois », a relaté la soeur aînée de la famille, Viviane Niquay.

Le clan Echaquan est persuadé que sa fille a été échangée. Son récit n'est pas sans rappeler les révélations récentes d'enfants autochtones enlevés et vendus au Canada lors de la « rafle des années 60 ». Des familles de Pakuashipi, en Basse-Côte-Nord, doivent aussi venir témoigner de la disparition mystérieuse de huit enfants de la communauté.