«C'est bien mon bébé qui est là-dedans?» Le poupon d'Armand et de Madeleine Echaquan a été évacué de la communauté de Manawan pour soigner une pneumonie, en 1973. Le couple n'a jamais revu leur fillette vivante. Plus de quarante ans plus tard, ils n'ont toujours aucune preuve de son décès et la croient encore bien en vie, mais ailleurs.

Armand Echaquan et sa fille aînée, Viviane Niquay, ont fait le chemin depuis leur communauté atikamekw jusqu'à Mani-Utenam sur la Côte-Nord pour livrer «leur vérité» devant la commission d'enquête fédérale sur les femmes autochtones assassinées et disparues au Canada. Les travaux ont débuté ce matin dans la communauté innue, à l'est de Sept-Îles. 

La petite Lauréanna Echaquan a été envoyée à Joliette dans Lanaudière pour être soignée en octobre 1973. Elle avait environ trois mois. Ses parents n'ont pas été autorisés à l'accompagner, a rapporté Mme Niquay. C'est un mois plus tard, alors qu'ils ont été informés que leur fille n'avait pas survécu à sa pneumonie, que le couple a pu se rendre à Joliette, explique-t-elle. 

«Quand ma mère est arrivée au salon funéraire, elle a demandé: «C'est bien mon bébé qui là-dedans?» parce que le bébé dans le cercueil avait l'air d'avoir neuf, dix mois», a relaté Viviane Niquay, qui avait une douzaine d'années quand sa soeur «est disparue». Les proches n'auraient reçu sur place que bien peu de détails sur la mort de la petite Echaquan. 

Encore aujourd'hui, la famille de Manawan n'a pas en main le certificat de décès de la fillette. Sa «fiche d'indien inscrit» est d'ailleurs toujours active au ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada. Armand Echequan affirme également avoir reçu au domicile familial la carte d'assurance-maladie de sa fille décédée jusqu'en 1979. 

M. Echaquan a la certitude que sa fille a été échangée. Quand il a vu le petit corps inanimé en 1973, il dit avoir ressenti dans son for intérieur qu'il ne s'agissait pas de son bébé. «Vous qui êtes assis devant nous, vous pouvez nous aider. Ça fait longtemps qu'on est dans la tristesse et on veut que le bonheur de la retrouver prenne cette place-là*», a lancé l'aîné devant les commissaires. 

À la fin de ce premier témoignage lundi, l'avocate de la commission, Fanny Wilde, a rappelé la révélation récente de nombreux cas d'enlèvements d'enfants autochtones canadiens pour être vendus à l'étranger. Appelée «la rafle des années 60», cette tragédie aurait eu des échos jusqu'au Québec, a-t-elle indiqué s'appuyant sur le témoignage de la famille Echaquan. 

D'autres cas présumés d'enlèvement d'enfants doivent d'ailleurs être exposés au cours des cinq jours des travaux de l'enquête fédérale sur la Côte-Nord. Des familles de Pakuashipi en Basse-Côte-Nord doivent notamment témoigner de la disparition mystérieuse de huit enfants. Les audiences se poursuivent cet après-midi à la salle communautaire de Mani-Utenam. 

Il est prévu que 25 témoignages soient recueillis publiquement et qu'une quinzaine d'autres le seront à huis clos. Plusieurs Innus ont néanmoins manifesté leur intérêt de participer aux audiences. L'agenda promet donc d'être flexible. D'ailleurs, toute personne qui souhaite s'adresser à la commission pourra se présenter durant la semaine et sera rencontrée par l'équipe. 

Lancée en 2016 par le gouvernement Trudeau, l'enquête fédérale sur les femmes autochtones assassinées et disparues doit faire la lumière sur les causes systémiques expliquant une si grande violence envers les femmes issues des Premières nations. Selon un rapport de la Gendarmerie royale du Canada, 1181 femmes autochtones ont été tuées ou sont disparues entre 1980 et 2012. 

Pour cette même période, les femmes des Premières Nations comptaient pour 16% des cas d'homicides de femmes et pour 11,3% des cas de disparitions alors qu'elles ne représentent que 4% des Canadiennes.

*Propos en langue autochtone traduits par le service de traduction de la commission.