Son arrivée il y a deux ans sonnait la fin de la récréation. Après plusieurs controverses entourant l'usage laxiste des fonds secrets d'opérations à la Sûreté du Québec (SQ), Johanne Beausoleil avait un message pour les policiers: à partir de maintenant, tout le monde devra rendre des comptes. Même ceux qui sont habitués à travailler dans l'ombre.

« La reddition de comptes, aujourd'hui, tout le monde doit en faire, pour redonner confiance aux citoyens », affirme la directrice de la vérification à la SQ.

La gestionnaire n'avait fait aucune sortie publique depuis son entrée en poste en 2015. Si elle a finalement accepté d'accorder une entrevue, c'est pour répondre aux questions soulevées par une série de reportages sur les fonds secrets controversés du corps policier.

La Presse révélait récemment le contenu d'un rapport interne produit par un lieutenant au début de l'année 2013 qui relevait le « manque de rigueur généralisé » dans la gestion de cette réserve d'environ 25 millions de dollars. Les fonds de « dépenses spéciales d'opérations » instaurés dans les années 70 devaient normalement servir à payer des sources confidentielles ou à réaliser des transactions qui devaient rester secrètes afin de protéger une opération policière, par exemple la location d'un logement pour faire de la surveillance ou l'achat de stupéfiants dans le cadre d'une manoeuvre d'infiltration.

Mais au fil du temps, les gestionnaires ont commencé à s'en servir pour toutes sortes de dépenses courantes de l'organisation.

Un deuxième rapport produit en août 2013 avait souligné que des gestionnaires avaient « tendance à se soustraire aux règles » de reddition de comptes en « étirant le critère de secret ».

D'anciens dirigeants de la SQ sont actuellement jugés à Montréal dans le cadre d'un procès criminel pour avoir pigé dans les fonds secrets afin de payer un consultant en relations de travail et verser des indemnités de départ à des cadres. Les audiences ont permis d'apprendre que dans les années 90 et 2000, les fonds ont servi à payer des repas au restaurant, un tournoi de golf, l'achat d'imprimantes, des honoraires professionnels, des participations à des colloques, le tout sans passer par l'examen public habituel des dépenses.

EX-GARDIENNE DE PRISON

Lorsqu'il est devenu chef de la SQ, en 2014, Martin Prud'homme a recruté une civile à l'extérieur de l'organisation afin de casser cette culture développée au fil des ans entre gestionnaires policiers.

Son choix s'est arrêté sur Johanne Beausoleil, sous-ministre associée au ministère de la Sécurité publique, qui avait été sa subalterne alors qu'il était lui-même sous-ministre, avant sa nomination à la tête du corps policier.

Ancienne gardienne de prison, Mme Beausoleil avait gravi les échelons jusqu'à devenir directrice d'établissement, puis haute fonctionnaire. Elle avait complété sa formation par une maîtrise en administration publique. Martin Prud'homme l'a nommée à la tête de la toute nouvelle direction de la vérification. Il a annoncé dès le départ qu'elle aurait le droit de mettre son nez partout à la SQ, d'ouvrir tous les livres pour fouiller.

« J'avais carte blanche, se souvient-elle. [...] Il y avait déjà beaucoup de changements amorcés, et nous en avons recommandé beaucoup d'autres. »

« La première chose qu'on a faite, c'est se questionner sur ce que c'est, une dépense secrète. Qu'est-ce qui est admissible ? C'est quoi l'impact si ça devient public ? »

Elle a réduit considérablement le type de dépenses admissibles pour les fonds secrets, afin de se concentrer sur les vrais besoins de confidentialité des enquêtes criminelles. Elle a augmenté les contrôles : l'état-major doit approuver les dépenses secrètes importantes, la direction de la vérification examine chaque dollar utilisé à partir des fonds de dépenses spéciales d'opérations, et toutes les demandes doivent être renouvelées tous les trois mois pour approbation.

UN OEIL MÊME SUR SON PATRON

La nouvelle procédure l'oblige à rendre des comptes et même à dénoncer son propre patron s'il exagère en ce qui a trait aux dépenses secrètes. « Si je décèle une dépense injustifiée, je dois la signaler au directeur général. Si lui décide de continuer quand même, pour payer une indemnité de départ, par exemple, j'ai l'obligation de le rapporter au sous-ministre directement », explique Mme Beausoleil.

Chaque année, sa direction produit un rapport sur l'usage qui en est fait, avec des recommandations pour la suite des choses. La direction de la SQ est obligée d'établir un plan d'action pour s'y conformer. « Nous, on n'a pas un rapport qui dort sur une tablette », souligne-t-elle.

Outre la vérification des livres, l'équipe surveille l'attribution des contrats à l'externe, fournit des conseils en éthique aux gestionnaires, procède à l'inspection des pratiques policières de la SQ, recueille les dénonciations d'actes répréhensibles à l'interne et analyse chaque rapport du coroner sur les décès lors d'interventions policières, afin d'adapter les façons de faire lorsque cela est nécessaire.

Son prochain mandat ? Examiner et mettre à jour la façon dont les policiers paient leurs informateurs au sein des milieux criminels, un sujet particulièrement sensible chez les enquêteurs.

« On l'a déjà regardé dans le cadre de la vérification des dépenses secrètes, mais là on va y aller dans le détail », annonce-t-elle.