Les employés québécois de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) se disent totalement dépassés par l'ampleur de la vague des demandes d'asile et ils implorent le premier ministre Justin Trudeau d'accorder plus de ressources à l'organisme pour lui permettre de statuer sur ces demandes.

Dans une lettre obtenue par La Presse, le syndicat qui représente les employés de la CISR a indiqué à M. Trudeau vendredi qu'il ne disposait pas des moyens nécessaires pour remplir son mandat et rendre des décisions dans un délai acceptable sur les milliers de demandes adressées à l'organisme.

« Les employés de la CISR sont complètement dépassés par le manque de ressources affectées pour répondre à l'immense défi que la situation représente », a écrit Fabienne Jean-François, vice-présidente nationale au Québec du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada.

« Nous sommes d'avis que malgré les mesures mises en place par la direction pour faire face à la situation, la Commission ne parviendra pas à remplir pleinement son mandat sans une augmentation significative des ressources qui lui sont allouées. »

- Extrait de la lettre du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada

Vendredi, La Presse a fait état des demandes d'avocats du Québec dans le domaine de l'immigration qui réclament eux aussi des ressources supplémentaires à Ottawa et à Québec pour faire face à la crise. « On se dirige à une vitesse grand V dans un mur de béton », a mis en garde Jean-Sébastien Boudreault, président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration (AQAADI).

Ces appels s'ajoutent à ceux d'autres acteurs du milieu, dont le président de la CISR, Mario Dion, qui a lancé en août : « On ne suffit pas à la demande. Et il ne sera pas possible d'y répondre si on n'obtient pas des ressources additionnelles le plus tôt possible. »

27 000 DEMANDES ENTRE MARS ET SEPTEMBRE

Plus de 14 000 demandeurs d'asile ont franchi la frontière de manière irrégulière depuis le mois de février au Canada, dont plusieurs près du poste frontalier de Lacolle, au Québec. Ces dossiers s'ajoutent à ceux des demandeurs d'asile entrés au pays de manière régulière - par exemple dans un aéroport. Ainsi, selon des données obtenues par La Presse, plus de 27 000 dossiers auraient été confiés à la CISR entre mars et septembre.

Dans sa lettre, le syndicat note qu'il s'agit d'une augmentation de près de 250 % par rapport aux années précédentes, lorsque les demandes ont oscillé entre 16 000 et 23 000. Or, l'effectif de la CISR n'aurait connu qu'« une augmentation d'à peine 13 % au cours de la même période ». Pendant ce temps, la liste d'attente s'allonge « à un rythme alarmant », étant passée d'environ 15 000 à 40 000 cas depuis deux ans.

« Les prévisions à court et moyen termes quant à la capacité de la CISR de composer avec l'augmentation des demandes sont sombres, d'autant plus que rien n'indique qu'il y aura une diminution des demandes d'asile en 2018 et à plus long terme. »

- Extrait de la lettre du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada

« Il n'y a aucun gain à faire pour la société et encore moins pour le bien-être des demandeurs, qu'ils soient acceptés ou non, de les faire attendre indûment des années durant, jusqu'à 11 ans dans la précarité et l'incertitude », a-t-il ajouté.

La situation minerait le moral des employés : « Nos membres sont conscients qu'ils sont dans une impasse. Ils sont frustrés par leur incapacité à répondre à la demande. Ce découragement affecte leur santé physique et mentale. »

RÉPONSE D'OTTAWA

Dans une réponse laconique rédigée en anglais, Hursh Jaswal, un porte-parole du ministre fédéral de l'Immigration Ahmed Hussein, a réitéré l'engagement de ce dernier à l'égard d'un système d'asile basé sur la compassion. Mais il ne s'est pas rendu aux nombreuses demandes lancées pour que les ressources de la CISR soient bonifiées. Au contraire, il a noté que le gouvernement « a lancé une étude indépendante de la CISR pour s'assurer que l'argent des contribuables est dépensé d'une manière responsable et basée sur les faits ».

Janet Dench, directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés, estime que l'engorgement actuel aurait pu être évité, ou à tout le moins diminué, si le gouvernement fédéral avait accordé plus de moyens à la CISR dans son dernier budget. Elle déplore le fait qu'Ottawa ait plutôt décidé de lancer une étude de la Commission.

« C'est une crise qui, au niveau des chiffres, est en train de se développer. Mais c'est quelque chose que le gouvernement a vu venir depuis très longtemps, mais il a décidé de ne pas agir », déplore la directrice.

« Le problème à la CISR, c'est le manque de ressources et le manque de volonté. [...] Et le gouvernement est tout simplement en train de repousser le problème. »