Le Grand Séminaire accueillait vendredi une conférence sur les religions rassemblant un imam, deux évêques et des représentants des communautés juive et autochtones. La Presse s'est entretenue avec l'imam Mahdi Tirkawi, de l'Association musulmane du Canada, et Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal. Voile, conversion et blasphème étaient au menu.

BLASPHÈME

La publication de caricatures de Mahomet a mis en lumière le caractère sacrilège de la représentation du fondateur de l'islam, pour de nombreux musulmans. L'hiver dernier, l'adoption d'une motion contre l'islamophobie par le Parlement d'Ottawa a suscité des craintes chez certains défenseurs de la liberté d'expression. Existe-t-il un droit à ne pas être offensé dans sa religion ? « Il est important de respecter la sensibilité des autres, mais la liberté d'expression est fondamentale », dit l'imam Tirkawi, qui oeuvre à la mosquée Al Rawdah du Centre communautaire laurentien à Cartierville. Mgr Lépine ne croit pas non plus qu'il faille instaurer un tel droit. « J'ai été à l'université dans les années 70, quand il y avait beaucoup de communistes qui critiquaient le capitalisme, dit Mgr Lépine. Au même moment, en URSS, on pouvait aller en prison si on attaquait le communisme. Je pense qu'il faut respecter la personne, mais que même si la foi fait partie de l'identité, il doit être possible de critiquer une religion. »

VOILE

Que pense l'imam Tirkawi de la loi 62 interdisant le voile intégral ? « C'est une question complexe où on vient imposer une solution par le haut, alors qu'il faudrait plutôt privilégier le dialogue. Imposer le niqab est anti-islamique. Mais si une femme se fait imposer le niqab, elle pourrait aussi se voir interdire de sortir de chez elle. J'ai fréquemment rencontré des étudiantes universitaires que leurs parents voulaient obliger à porter le voile. Je rencontre leurs parents pour leur expliquer les droits de leurs filles au Canada. Mon père, qui est médecin, a vu dans une librairie islamique une Libanaise qui cherchait un voile intégral parce que son mari exigeait qu'elle le porte. Il lui a expliqué que c'était sa décision, pas celle de son mari. Ma propre mère, qui est française, a attendu cinq ans après sa conversion à l'islam avant de porter le hijab [foulard couvrant les cheveux, et non pas voile intégral]. »

CONVERSION

Historiquement, et encore aujourd'hui dans plusieurs régions du monde, la conversion et l'apostasie, soit l'abandon de sa foi, sont au coeur des tensions religieuses. Cette résistance à la conversion est-elle présente au sein de la communauté musulmane québécoise ? « J'ai justement fait ma maîtrise sur la position islamique face à la liberté de croire, dit l'imam Tirkawi. Les avis classiques acceptent difficilement l'apostasie. Mais depuis le XXe siècle, il y a eu une révision et c'est accepté. Les difficultés vont des deux côtés. J'ai rencontré ici plusieurs nouveaux convertis à l'islam et ça a souvent causé des bouleversements familiaux et avec certains amis. » Selon Mgr Lépine, l'opprobre envers l'apostasie diminue au fil des générations, tant chez les immigrés que chez les catholiques québécois qui sont restés pieux malgré la Révolution tranquille.

LA GÊNE DES JEUNES

La table ronde interreligieuse de vendredi découle d'un projet de témoignages de jeunes croyants de la Fondation du Grand Séminaire de Montréal. « On avait contacté ces quatre leaders religieux pour recueillir des témoignages vidéo de jeunes », dit le directeur de la Fondation, Sébastien Froidevaux. « Ils étaient bien disposés à nous parler, mais pas à être filmés. » Les réactions étaient différentes d'une religion à l'autre. « Pour les jeunes musulmans, ce sont les parents qui ne voulaient pas, à cause de l'attentat à la mosquée de Québec, dit M. Froidevaux. Les chrétiens, eux, disaient qu'ils cachaient leur foi à leurs amis. Ils rapportaient qu'en classe, les professeurs ridiculisaient souvent le christianisme. » Certains des juifs fréquentaient des écoles juives et ne voyaient pas d'objection à ce qu'une vidéo se retrouve sur un site de leur communauté, mais pas sur YouTube.

M. Froidevaux a aussi observé des différences entre chrétiens francophones et anglophones. « Les anglophones vivent encore leur foi au sein de la paroisse, mais c'est complètement disparu chez les jeunes francophones. Ils vont à la basilique, à l'oratoire, à la cathédrale, mais pas à leur église de quartier parce qu'il n'y a pas beaucoup de monde à la messe et qu'ils ne connaissent pas le prêtre. »

WAHHABISME

L'Arabie saoudite finance beaucoup de mosquées dans d'autres pays, ainsi que la formation d'imams. Comme la version saoudienne de l'islam, appelée wahhabisme, est très rigoriste, ce financement des mosquées est souvent jugé propice à encourager l'extrémisme religieux. L'imam Tirkawi n'a jamais entendu parler de financement wahhabite de mosquées montréalaises. Mais il juge qu'un tel financement peut être problématique. « Le problème que j'ai avec des gens de cette tendance, c'est qu'ils sont trop renfermés sur eux-mêmes. Ils ont tendance à exclure les autres, c'est dangereux. Cela dit, c'est une tendance parmi tant d'autres dans l'islam, qui a le droit d'exister. »

ADIL CHARKAOUI

L'imam Tirkawi connaît-il l'imam controversé Adil Charkaoui ? « Je ne l'ai jamais rencontré, mais certains de mes jeunes connaissent des jeunes qui font partie de son groupe », dit M. Tirkawi. Comment décrivent-ils les ouailles de M. Charkaoui ? M. Tirkawi rit nerveusement et pèse soigneusement ses mots. « Ils ont une manière de voir exclusive, dit M. Tirkawi. Pour eux, c'est ça, l'islam. Ça pose problème parce que ça n'encourage pas le dialogue. On n'apprend pas forcément à apprendre des autres, de ceux qui sont différents. »

Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse

L'archevêque de Montréal, Christian Lépine

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Adil Charkaoui