Des milliers de Canadiens ont honoré hier la mémoire des anciens combattants de l'armée canadienne, dont beaucoup ont fait « le sacrifice ultime » pour la défense de leur pays. Le jour du Souvenir a été célébré d'un bout à l'autre du Canada, notamment à Montréal et à Ottawa, mais aussi ailleurs dans le monde.

« Quand tu reviens, tu ne sais pas que tu as changé. Le grand changement, les autres le voient, mais toi, tu ne le sais pas. » Lorne Warawa a passé 29 ans de sa vie à servir au sein des Forces armées canadiennes. Il a multiplié les missions. Celle menée en Afghanistan lui a enlevé 25 de « ses amis ». Tous les 11 novembre, c'est un devoir pour lui de se souvenir d'eux.

« J'ai perdu 25 amis en Afghanistan, mais on a perdu plus d'hommes depuis le retour. Il y en a qui se sont suicidés et d'autres qui ont plus de problèmes maintenant que ceux vécus là-bas. »

« C'est pour tout le monde, [le 11 novembre]. Nous sommes ici pour nous rappeler et honorer tous ces hommes, peu importe la nature de leurs blessures. »

La Presse s'est invitée hier au repaire du Black Watch du Canada, rue De Bleury, où les anciens combattants et les membres de différents régiments de l'armée s'étaient donné rendez-vous après la cérémonie commémorative du jour du Souvenir à la place du Canada. À l'étage, des vétérans à la tête grisonnante et au veston décoré célébraient leur réunion.

« Il y a une grande fierté pour les vétérans, même pour ceux qui n'ont fait que quelques années seulement, poursuit M. Warawa. Ça devient une partie de ton identité. » Le retraité est accompagné de deux de ses « frères d'armes », Lech Kwasiborski et Douglas McAdam. Ils n'ont pas combattu sur les mêmes fronts, ils ont vécu des époques différentes, mais ils se « reconnaissent ».

« C'est une expérience que tu dois traverser pour comprendre », assure M. Kwasiborski, 64 ans. En mission en Égypte en 1974, le vétéran se souvient d'avoir perdu neuf des siens en une seule journée. Rien ne peut préparer un homme de 20 ans à vivre une situation pareille, dit-il encore aujourd'hui. « Ça prend du temps pour gérer ses émotions. Avec le temps, je vais mieux. »

Retours difficiles

« Quand tu reviens au Canada, la première chose que tu vois, ce sont les couleurs, explique M. Kwasiborski. Tu vois les gens ici, et il n'y a pas de sentiment d'urgence. Tu marches dans la rue, mais les gens ne voient pas l'essence qu'il te reste en dedans. Ça, c'est resté dans ma tête. » Le sexagénaire confie n'avoir pris conscience de ses blessures que quelques années après son retour.

« Ça prend du temps parce que tu es jeune. Le cerveau ne comprend pas toute la situation. Pour moi, ça a pris un bon trois, quatre ans pour comprendre qu'il y avait quelque chose de déplacé dans ma tête. Avec Dieu qui m'a donné le courage aussi, j'ai pu continuer de mener ma vie. » Lorne Warawa, lui, s'estime « chanceux » d'être sorti de l'armée indemne.

« J'ai eu des missions les unes après les autres, alors je n'ai pas eu trop de temps pour penser », lance-t-il. M. Warawa est de ceux qui croient que les retraités de l'armée canadienne ne reçoivent pas un soutien adéquat pour soigner leurs blessures ou réintégrer la société. « Je pense que c'était plus facile avant, à l'époque de la Première et de la Seconde Guerre mondiale ».

« Parce que maintenant, les vétérans servent de longues années. Quand ils sont libérés, c'est souvent tout ce qu'ils savent faire, servir. Ici, nous avons une fraternité, du soutien, mais quand nous partons, certains se retrouvent seuls avec leurs problèmes. » Lech Kwasiborski estime pour sa part que les choses tendent à s'améliorer pour les nouveaux vétérans.

« À l'époque, quand la mission était terminée, on te mettait de côté. Je pense qu'avec le cas de Roméo Dallaire, la société a pris conscience que les gens en mission ne revenaient pas toujours en santé. Maintenant, j'espère que c'est mieux », souligne-t-il. Hier, après les cérémonies, les vétérans rencontrés avaient néanmoins bonne mine.

Le jour du Souvenir, c'est le moment d'honorer la mémoire des disparus, mais c'est aussi l'occasion de renouer avec les leurs, disent-ils. « Ça reste. Cette fierté de servir est toujours là quand je rencontre des vétérans ou que je leur parle. Ça devient ce que tu es comme personne. Mes 29 années de service ont fait ce que je suis devenu aujourd'hui », conclut M. Warawa.