Alors que les cas d'abus de pouvoir et de harcèlement sexuel font la manchette depuis deux semaines au Québec, le débat s'est déplacé à Ottawa jeudi. Le tiers des répondants à un sondage mené dans des milieux de travail fédéraux disent avoir été victimes d'un tel comportement, révèle une nouvelle étude. Une situation qualifiée de « tout simplement inacceptable » par la ministre de l'Emploi, qui promet une réaction rapide.

PROBLÈME ENDÉMIQUE

Les constats dévoilés hier proviennent d'une vaste consultation publique lancée par le gouvernement fédéral, sous l'impulsion de Patty Hajdu, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'oeuvre et du Travail. Quelque 60 % des répondants à un sondage en ligne affirment avoir déjà vécu du harcèlement de nature non sexuelle au bureau, 30 %, du harcèlement sexuel, 21 %, de la violence, et 3 %, de la violence sexuelle. Le sondage a été mené dans une série de milieux de travail de compétence fédérale, incluant des ministères, des sociétés publiques et parapubliques, mais aussi des banques et des sociétés de télécommunications. Ottawa a mené en parallèle plusieurs tables rondes et téléconférences avec des employeurs, des syndicats et des experts pour bonifier les résultats de sa recherche.

295 PLAINTES FORMELLES

L'étude intègre aussi les conclusions troublantes d'une enquête menée l'an dernier dans des milieux de travail fédéraux - incluant le Parlement d'Ottawa. On y apprend que 295 plaintes formelles de harcèlement sexuel ont été déposées auprès d'employeurs en 2015, dont 80 % provenaient de femmes. Plusieurs cas ne sont toutefois jamais dénoncés, souligne l'étude dévoilée hier, qui met en lumière un processus de plaintes inefficace. Parmi les répondants qui disent avoir subi de la violence ou du harcèlement au bureau, 75 % ont signalé l'incident à leur employeur. Or, pour 41 % de ces victimes, rien n'aurait été fait pour tenter de régler le problème. Ceux qui n'ont pas dénoncé les incidents ont gardé le silence par crainte de « subir des représailles », indique-t-on.

UN PROBLÈME BIEN RÉEL

Denis St-Jean, agent national de santé et de sécurité à l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), confirme que les mécanismes actuels n'ont rien pour encourager la dénonciation. Bien au contraire. « À la fonction publique fédérale, le processus de traitement des plaintes est trop complexe et accusatoire. La menace de représailles est souvent bien réelle pour les personnes qui décident de porter plainte pour harcèlement. Les conséquences pour la victime peuvent parfois être pires que pour l'agresseur, et cela peut dissuader certaines personnes de porter plainte. » Le syndicat, qui représente 180 000 travailleurs, dit collaborer « activement » avec le Conseil du Trésor en vue de créer des politiques claires en matière de harcèlement.

PAS SURPRENANT, DIT LA MINISTRE

En entrevue à La Presse, la ministre Patty Hajdu a admis ne pas avoir été renversée par les conclusions de l'enquête. « En tant que femme, je n'ai pas été surprise. La majorité des femmes que je connais m'ont déjà parlé de situations du genre. C'est une réalité que vivent plusieurs femmes en milieu de travail, surtout au début de leur carrière, lorsqu'elles sont dans des postes qui les rendent plus vulnérables. » Mme Hajdu dit avoir suivi avec intérêt la vague récente de dénonciations au Québec, où les histoires impliquant Éric Salvail et Gilbert Rozon ont entraîné un effet en chaîne. La ministre de l'Emploi espère qu'une prise de conscience collective sera possible à l'échelle du Canada, en particulier chez les hommes, et elle incite du même souffle toutes les victimes à porter plainte aux autorités.

ÉTAPES À VENIR

Une chose est claire : les résultats de la récente enquête confirment la « nécessité d'agir » pour Ottawa. Diverses pistes de solution ont été évoquées pendant les consultations, et Patty Hajdu promet d'en tenir compte pour la suite des choses. « On a demandé des choses très spécifiques aux gens sur ce qui devrait être fait et sur ce qui pourrait être mis en place », a-t-elle affirmé. La ministre promet d'annoncer des mesures concrètes à très court terme pour rendre les milieux de travail plus sécuritaires, mais aucun échéancier précis n'a été fourni hier. Ottawa avertit que son sondage en ligne a été rempli sur une base volontaire et n'est pas représentatif de la population canadienne. Sur 1349 répondants, 1005 étaient des femmes. Malgré cette imprécision statistique, le gouvernement fédéral estime que le problème du harcèlement sexuel est criant et insiste sur son intention d'agir rapidement dans ce dossier.