Visé par des allégations d'agressions sexuelles et de harcèlement de la part de neuf femmes, dont l'animatrice Pénélope McQuade, Gilbert Rozon a annoncé hier soir qu'il quittait ses fonctions de président du Groupe Juste pour rire, de commissaire aux célébrations du 375e anniversaire de Montréal et de vice-président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Plus tôt, en après-midi, une enquête a été ouverte par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à la suite d'une plainte pour agression sexuelle à son endroit. Les actes reprochés à Gilbert Rozon seraient survenus à Paris en 1994. Aucune accusation n'a encore été portée.

Outre Pénélope McQuade, les comédiennes Salomé Corbo et Sophie Moreau ainsi que la recherchiste Anne-Marie Charrette accusent le fondateur du Festival Juste pour rire d'agressions qui se seraient déroulées principalement dans les années 80 et 90, dans un texte publié par Le Devoir, hier soir vers 22 h. Le quotidien indique avoir parlé à deux autres femmes qui auraient rapporté des faits similaires.

Les inconduites sexuelles présumées de Gilbert Rozon à l'endroit de Sophie Moreau et de Salomé Corbo se seraient produites alors qu'elles étaient âgées de seulement 15 et 14 ans respectivement.

La réalisatrice et photographe Lyne Charlebois et l'entrepreneure Geneviève Allard Lorange ont aussi livré à La Presse lundi des témoignages troublants : elles allèguent avoir été violées par Rozon. Les agressions se seraient produites il y a plus de 30 ans dans le cas de Lyne Charlebois et l'année dernière dans celui de Geneviève Allard Lorange.

Une autre jeune femme, Marlène Bolduc, a rapporté avoir été victime de harcèlement de la part de Gilbert Rozon l'année dernière alors qu'elle travaillait pour le Festival Juste pour rire.

Ces dénonciations ont été faites dans la foulée de la campagne visant à dénoncer les agressions sexuelles au moyen des mots-clics #MeToo et #MoiAussi, popularisés depuis l'affaire Harvey Weinstein.

Dans sa déclaration officielle, publiée vers 20 h 30, Gilbert Rozon se dit « ébranlé par les allégations » le concernant. « Je souhaite consacrer tout mon temps à faire le point », précise-t-il.

« Je me retire par respect pour les employés et les familles qui travaillent pour ces organisations ainsi que tous nos partenaires. Je ne veux surtout pas leur porter ombrage. »

« À toutes celles et ceux que j'ai pu offenser au cours de ma vie, j'en suis sincèrement désolé. »

«Weinstein québécois»

Toujours marquée par l'agression qu'elle aurait subie dans les années 80, Lyne Charlebois a publié sur sa page Facebook lundi un message décrivant celui qui l'aurait agressée comme « un homme connu, populaire, riche qui se pavane impunément. Notre Weinstein québécois ! ».

Elle demandait à d'autres présumées victimes de se manifester. « Si seulement on pouvait se regrouper. Pour les autres, les prochaines victimes...Ça fait des années que j'y pense. »

Les femmes qui lui ont répondu se sont regroupées pour dénoncer dans les médias les agressions qu'elles affirment avoir subies.

Mme Charlebois raconte qu'elle aurait voulu porter plainte à la police quelques années après les événements, en 1998, lorsque le patron de Juste pour rire a été formellement accusé d'agression sexuelle à la suite d'une autre histoire. « Mais à l'époque, les policiers m'ont dit qu'il était trop tard », dit-elle.

Réalisatrice notamment du film Borderline, Lyne Charlebois était dans la vingtaine lorsqu'elle a rencontré Gilbert Rozon, qui lui avait dit vouloir l'embaucher comme photographe. Après un souper chez elle avec son conjoint, Mme Charlebois et M. Rozon seraient partis pour poursuivre leur discussion dans un bar.

Ils se seraient arrêtés chez M. Rozon, qui voulait changer de chemise. « On est montés chez lui, il est allé dans sa chambre et quand il est ressorti, la première chose que j'ai su, il me violait. J'ai été tellement saisie que j'ai fait la planche », relate Lyne Charlebois.

« Je m'en suis tellement voulu après, je me trouvais niaiseuse ! »

Salomé Corbo a expliqué au Devoir qu'elle avait accès à l'époque aux « gros partys » de la fin du festival Juste pour rire. Pendant l'un de ces événements en 1990, Gilbert Rozon l'aurait agrippée et aurait « passé sa main près de [sa] culotte et a réussi à mettre un doigt dans [son] vagin] ».

Dans le cas de Sophie Moreau, fille de l'humoriste Jean-Guy Moreau, elle aurait été empoignée par Rozon, qui lui aurait « demandé de l'embrasser » en coulisses, rapporte Le Devoir

Pénélope McQuade allègue pour sa part que Gilbert Rozon l'aurait suivie dans une toilette privée alors qu'elle était chroniqueuse à Salut bonjour ! et qu'elle couvrait le festival Juste pour rire. « Tout de suite après moi, je sens quelqu'un qui rentre. Je vois la lumière se fermer et j'entends la porte se barrer. Et ce quelqu'un que j'ai aperçu était Gilbert Rozon », a relaté l'animatrice au Devoir.

« Il s'est jeté sur moi. J'ai complètement figé. Lui aussi d'ailleurs ». Pénélope McQuade affirme être parvenue à ressortir avant que les choses n'aillent plus loin.

La recherchiste Anne-Marie Charette, de son côté, rapporte au Devoir avoir dû repousser Rozon alors qu'elle travaillait pour lui et qu'il l'aurait fait monter à sa chambre d'hôtel pour qu'elle lui remette des documents, à la fin des années 80. Son patron l'aurait poussée sur le lit et se serait couché sur elle.

L'année dernière

Quant à Geneviève Allard Lorange, elle soutient avoir été violée en 2016, lorsque Gilbert Rozon, qui a été son mentor à l'émission Les Dragons, serait débarqué chez elle à l'improviste, en prétendant vouloir parler affaires.

Les deux auraient finalement pris de l'alcool, et M. Rozon se serait endormi dans son lit. Elle s'est endormie à côté de lui.

« Quand je me suis réveillée, il avait remonté ma jupe et était en train de me pénétrer. »

Elle a porté plainte à la police plusieurs mois après les événements, en décembre 2016, mais aucune accusation n'a été déposée contre Gilbert Rozon.

Interrogé par La Presse au sujet de ces allégations, lundi, le fondateur de Juste pour rire s'est défendu en disant que Geneviève Allard Lorange avait inventé cette histoire de toutes pièces, que c'était elle qui le poursuivait de ses ardeurs, et qu'elle lui avait même demandé de l'héberger à un certain moment. « C'est moi la victime dans cette histoire ! », a-t-il plaidé.

La jeune entrepreneure a publié sur son compte Facebook lundi une photo de Gilbert Rozon, avec le mot-clic #metoo. Après plusieurs heures, et après avoir été interrogé par La Presse à ce sujet, M. Rozon a demandé à Geneviève Allard Lorange de la retirer, la menaçant de faire appel à ses avocats si la publication ne disparaissait pas.

Culpabilité et absolution

À la suite d'accusations déposées en 1998, Gilbert Rozon s'était avoué coupable d'agression sexuelle envers une croupière de 19 ans. Les événements s'étaient produits au Manoir Rouville-Campbell, dans la chambre de l'homme d'affaires à la suite d'une soirée.

Le patron de Juste pour rire a été condamné à une simple amende. Le juge avait souligné qu'il n'y avait « pas de risque de récidive » et que sa consommation excessive d'alcool avait affecté sa capacité de discernement ce soir-là.

L'année suivante, en Cour d'appel, M. Rozon a bénéficié d'une absolution inconditionnelle. Le juge a pris en considération le fait qu'un dossier criminel l'empêcherait de voyager aux États-Unis, ce qui était essentiel pour la survie de son entreprise.

« Quand tu as été accusé une fois dans ta vie, ça te rend extrêmement prudent par la suite », a souligné Gilbert Rozon, en entrevue lundi. « Tu ne laisses même pas ta porte de bureau fermée pour une entrevue. Tu sais que ça peut te tomber dessus n'importe quand. »

À la résidence de Gilbert Rozon, dans l'arrondissement d'Outremont, l'un de ses fils a indiqué que l'homme d'affaires ne s'exprimerait pas avant «quelques jours». «Mettons que ça ne va pas bien», a-t-il ajouté. 

- Avec la collaboration de Fanny Lévesque, Daniel Renaud et Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

Gilbert Rozon en sept moments

1954: Naissance, le 26 octobre, de Gilbert Rozon, à Montréal.

1983: Il fonde le Festival Juste pour rire.

1984: Il prête serment au Barreau du Québec.

1998: Il plaide coupable à des accusations d'agression sexuelle sur une femme de 19 ans. Il sera absous inconditionnellement.

2012: Il est nommé commissaire des fêtes du 375e anniversaire de Montréal par Gérald Tremblay.

2012: Il reçoit un diplôme honoris causa de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec.

2016: Il se joint à l'équipe de l'émission Dans l'oeil du dragon à Radio-Canada.

- Fanny Lévesque, La Presse

Les réactions

« C'est avec consternation et déception [...] que j'ai pris connaissance des graves allégations d'inconduite sexuelle qui pèsent contre Gilbert Rozon. Je soutiens totalement toutes ces femmes et tous ces hommes qui décident de s'exprimer concernant les agressions subies. Nous devons protéger les victimes. Quand il y a une relation d'autorité, il faut protéger les gens. »

- Denis Coderre, maire sortant de Montréal

« Mes pensées accompagnent ces courageuses personnes qui ont décidé de dire : ça suffit. La première chose à faire, c'est d'écouter ce qu'elles ont à dire [...] Je souhaite que toute la lumière soit faite sur les allégations à l'égard de Gilbert Rozon et que la justice suive son cours. »

- Valérie Plante, cheffe de Projet Montréal, candidate à la mairie

« Nous allons prendre le temps de voir tout ce qui se passe et allons nous en tenir à la déclaration de M. Rozon pour le moment. »

- Jean-David Pelletier, porte-parole de Juste pour rire

« La Chambre de commerce du Montréal métropolitain annonce ce soir que Gilbert Rozon a remis sa démission à titre d'administrateur du conseil d'administration. Cette démission prend effet immédiatement. La Chambre et ses administrateurs n'émettront aucun autre commentaire. »

- La Chambre de commerce du Montréal métropolitain

« La Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal accuse réception de la démission de M. Rozon. Elle n'émettra aucun commentaire. »

- La Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal

« Je n'en connais pas les raisons, je ne suis au courant de rien. »

- François Massicotte, se disant « complètement abasourdi » par la nouvelle

« L'abus de pouvoir, sous quelque forme que ce soit et dans quelque milieu que ce soit, devrait toujours être dénoncé et condamné. »

- Pierre Hébert, humoriste

- Fanny Lévesque, avec Éric Clément et Hugo Pilon-Larose, La Presse