Après deux ans de blocage, le fisc va pouvoir relancer plusieurs dossiers liés à la corruption et l'industrie de la construction, fort d'une décision de la Cour supérieure qui confirme la légalité des méthodes d'enquête de l'Agence du revenu du Canada (ARC).

Le juge Daniel W. Payette a infirmé la semaine dernière une décision rendue par la Cour du Québec à l'automne 2015, laquelle avait sonné le glas d'une série d'enquêtes menées par le fisc dans la foulée de l'opération antimafia Colisée.

Même si elle visait principalement le trafic de drogue et les paris illégaux, Colisée avait porté à l'attention des autorités certaines activités louches d'entrepreneurs en construction.

La mère de toutes les enquêtes

Sur la base de ces informations, l'ARC avait lancé sa propre enquête baptisée Projet Legaux. Cette dernière était devenue pendant un temps la mère de toutes les enquêtes au sein de l'agence fédérale, tant les ramifications engendrées étaient nombreuses. Elle portait sur des soupçons de corruption interne au fisc et sur des stratagèmes d'évasion fiscale.

La GRC et Revenu Québec sont ensuite montées dans le train : elles ont lancé leurs propres enquêtes sur la base des découvertes du Projet Legaux.

Poursuites déposées dans la foulée

DÉCEMBRE 2010 : Deux entreprises de Tony Accurso reconnaissent leur culpabilité pour des infractions fiscales et sont condamnées à payer 8,2 millions.

FÉVRIER 2011 : Francesco Bruno, le dirigeant de BT Céramique, plaide coupable à une série d'infractions fiscales.

AOÛT 2012 : La GRC arrête cinq personnes, dont Tony Accurso et Francesco Bruno, accusées d'avoir utilisé un stratagème de fausses factures.

FÉVRIER 2013 : Revenu Québec, qui s'est saisie de la preuve amassée par son vis-à-vis fédéral, dépose à son tour 97 chefs d'accusation contre les entreprises BT Céramique, Entretien Torrelli et leurs administrateurs.

MAI 2013 : La GRC arrête deux ex-vérificateurs de l'ARC pour corruption.

Juin 2013 : Revenu Québec dépose 928 chefs d'accusation, principalement contre Tony Accurso et ses entreprises.

FÉVRIER 2014 : Sept personnes sont arrêtées par la GRC et accusées d'avoir empoché des pots-de-vin ou des commissions sur des crédits d'impôt obtenus frauduleusement.

Le choc

Puis, à l'automne 2015, c'est le choc : la juge de la Cour du Québec Dominique Larochelle déclare la preuve amassée par l'ARC illégale parce que les enquêteurs auraient utilisé le prétexte d'une vérification fiscale pour alimenter en douce une enquête pénale.

La distinction est importante. Lorsque le fisc vient vérifier les finances d'un contribuable pour s'assurer qu'il paie sa juste part d'impôt, la loi lui accorde une grande marge de manoeuvre pour mettre son nez partout et obtenir tous les documents nécessaires. Le pire qui puisse arriver au contribuable est alors de recevoir un avis de cotisation.

Lorsqu'il s'agit d'une enquête pénale qui peut envoyer quelqu'un en prison, la personne visée retrouve son droit à une foule de protections garanties par la Charte des droits. Il devient beaucoup plus difficile pour les autorités de saisir des documents.

La décision de la juge Larochelle avait déjà mené à des acquittements, mais elle avait aussi laissé planer la menace d'un effondrement de tous les autres procès à venir découlant du Projet Legaux.

L'ARC a porté la cause en appel, avec succès. La Cour supérieure estime que la magistrate faisait fausse route. « Pour tirer sa conclusion, la juge d'instance commet plusieurs erreurs de droit », précise le jugement rendu la semaine dernière.

La Cour supérieure estime que l'ARC avait respecté les balises qui encadrent les enquêtes pénales. Elle a donc annulé les acquittements et ordonné la tenue de nouveaux procès.

D'autres dossiers connexes qui étaient en attente pourront aussi vraisemblablement procéder bientôt.