Le Bureau de la sécurité des transports (BST) presse Transports Canada de rendre obligatoire l'installation d'un système d'avertissement de décrochage à bord des avions Beaver afin d'offrir aux pilotes « une dernière défense » contre la perte de maîtrise de leur appareil.

« Il est temps que ça change », ont martelé la présidente du BST, Kathy Fox, et l'enquêteur Pierre Gavillet. Le BST a dévoilé hier les conclusions de l'enquête sur l'écrasement d'un hydravion près de Tadoussac sur la Côte-Nord, le 25 août 2015. Le drame a entraîné la mort du pilote et des cinq touristes européens qu'il transportait.

Selon le BST, Transports Canada doit exiger que les exploitants commerciaux munissent tous les avions de Havilland DHC-2 (Beaver) d'un système permettant de prévenir le pilote qu'il s'approche d'un décrochage aérodynamique. C'est une situation qui survient lorsque les ailes d'un avion ne génèrent pas assez de portance, ce qui entraîne souvent une vrille.

C'est ce qui s'est produit le matin du 25 août alors que Romain Desrosiers survolait le lac Long aux commandes d'un appareil d'Air Saguenay, avec à son bord une famille de touristes britanniques et une Française. Vers la fin de la sortie, l'homme aurait effectué un virage à basse altitude, peut-être pour que les passagers puissent mieux admirer la faune.

L'appareil a « décroché » pendant le virage « à grande inclinaison » et est passé en descente verticale avant de percuter le sol, sur un cap rocheux.

Cela donne du poids à la recommandation du BST, selon Mme Fox et M. Gavillet. Depuis 1998, par ailleurs, 13 « accidents de ce genre » se sont produits au pays, tuant 37 personnes. Quelque 382 Beaver sont immatriculés au Canada, dont 223 sont utilisés à des fins commerciales, comme pour des vols touristiques, où l'encadrement fait souvent défaut, explique l'enquêteur Gavillet.

Dans le cas présent, une manoeuvre à basse altitude n'était pas nécessaire, estime le BST. Une alerte visuelle ou sonore aurait pu prévenir le pilote de réduire l'inclinaison de son virage, mais le décrochage est survenu à une altitude estimée de 175 pieds, alors qu'il faut environ un minimum de 200 pieds pour casser la vrille et reprendre la maîtrise de l'appareil.

DES PRÉOCCUPATIONS CONNUES

Ce n'est pas la première fois que le BST s'inquiète de l'absence d'avertisseurs de décrochage. En 2013, à la suite d'un autre accident impliquant un Beaver en Ontario, le Bureau avait fait part de sa « préoccupation » à cet égard. Transports Canada et même le fabricant du Beaver, Viking, avaient à l'époque recommandé aux exploitants de l'installer, mais sur une « base volontaire ».

L'enquête sur l'écrasement mortel de 2015 a aussi révélé que le pilote effectuait « régulièrement » des manoeuvres à basse altitude durant les vols touristiques et que l'exploitant n'était pas « conscient de [l'existence de] ces pratiques » en raison de l'absence d'enregistreur de données de vol dans les appareils légers. Le BST réitère ainsi la même recommandation de 2013, alors qu'il avait demandé à Transports Canada « de faciliter l'installation » de tels systèmes.

Transports Canada a affirmé « prendre acte » du rapport du BST publié hier. Le Ministère « prend au sérieux » le travail du Bureau et « partage son objectif d'améliorer la sécurité » dans les transports. Pour les enregistreurs de vol, Transports Canada doit proposer cet automne des modifications au Règlement de l'aviation canadien, notamment pour augmenter la durée des enregistrements de la parole dans le poste de pilotage.

« PAS UNE NÉCESSITÉ », SOUTIENT AIR SAGUENAY

Air Saguenay ne partage pas tout à fait l'avis du Bureau de la sécurité des transports, qui souhaite que Transports Canada oblige les exploitants à équiper les appareils de type Beaver d'un système d'avertissement de décrochage.

« C'est une bonne recommandation, mais ce n'est pas une nécessité pour nous », a expliqué à La Presse le vice-président et gestionnaire de l'exploitation chez Air Saguenay, Jean Tremblay. « L'avertisseur de décrochage, je ne dis pas que c'est mauvais, sauf que dans les appareils Beaver [...], les signes de décrochage sont assez évidents. »

Jean Tremblay doute d'ailleurs qu'une alerte aurait pu permettre d'éviter l'écrasement de l'un de leurs appareils en 2015, évoquant la position très inclinée de l'appareil tout juste avant l'accident.

L'installation d'un avertisseur de décrochage peut coûter 12 000 $ par avion. Air Saguenay dispose d'une flotte de 12 Beaver. « C'est quand même beaucoup d'argent pour nous », estime-t-il, affirmant néanmoins que son entreprise se conformera aux exigences de Transports Canada. Depuis l'accident, Air Saguenay indique avoir interdit les virages à plus de 30 degrés d'inclinaison.

La surveillance a aussi été accrue et les programmes de formation modifiés. Pour ce qui est d'ajouter des enregistreurs de données sur les appareils légers, Air Saguenay affirme être satisfait avec des systèmes offrant plutôt des informations de vol en temps réel.

Qu'est-ce qu'un décrochage aérodynamique ?

Cette perte de maîtrise survient lorsque les ailes d'un avion ne génèrent pas assez de portance, et si, une aile décroche avant l'autre, une mise en vrille suit. En vrille, l'aéronef descend verticalement en tournant sur lui-même. Un décrochage n'entraîne pas nécessairement un accident puisque s'il se produit à une altitude suffisante, le pilote peut reprendre la maîtrise. 

- Source BST

IMAGE FOURNIE PAR LE BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS

Le décrochage est une perte de maîtrise qui survient lorsque les ailes d'un avion ne génèrent pas assez de portance. Si une aile décroche avant l'autre, une mise en vrille suit.

Pourquoi un avertisseur de décrochage sur le Beaver ?

Conçus vers la fin des années 40, les appareils de type Beaver n'ont pas été munis d'avertisseur de décrochage. Maintenant, tous les avions neufs sont fabriqués avec un système qui prévient le pilote en cas d'imminence d'un décrochage. L'appareil qui s'est abîmé en 2015 datait de 1956.

PHOTO FOURNIE PAR LE BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS

Appareil de de Havilland DHC-2 Beaver