Sans budget supplémentaire alloué par Ottawa pour faire face à la colossale hausse des demandes d'asile, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a «du mal à s'acquitter de sa mission». «La situation est de plus en plus insoutenable», dénonce l'organisme dans un document dévoilé la semaine dernière.

Résultat : les nouveaux arrivants d'origine haïtienne qui débarquent au Canada par centaines en souhaitant être acceptés comme réfugiés doivent s'attendre à «plusieurs mois d'incertitude» et à des délais de plus en plus longs, a souligné le président de la CISR, Mario Dion, en entrevue lundi soir. «On ne suffit pas à la demande. Et il ne sera pas possible d'y répondre si on n'obtient pas des ressources additionnelles le plus tôt possible.»

L'organisme, qui est responsable de juger si les migrants sont admissibles au statut de réfugié, fonctionne avec un budget lui permettant de traiter 17 000 cas par année, alors que le nombre de dossiers pourrait atteindre 40 000 d'ici avril prochain si les demandes se poursuivent au rythme actuel, indique Me Dion.

«On a mis en place un plan d'action qui devrait nous donner des gains d'efficacité de 10 à 15%, mais ça ne sera pas suffisant. C'est mathématique, les délais vont continuer d'augmenter. Notre budget ne correspond pas aux besoins, et le gouvernement est bien au fait de la situation.»

À la fin du mois de juin, 25 350 demandes d'asile étaient en attente d'une décision de la CISR au Canada, dont environ 6000 au Québec, où la hausse est manifestement plus importante qu'ailleurs au pays depuis les dernières semaines, note Mario Dion.

La CISR a la capacité de traiter 600 dossiers par mois au Québec. Or, on parle ces derniers jours de 250 arrivées quotidiennes de migrants, soit 7500 par mois, si la tendance se maintient. «Ça serait sans précédent si ça se poursuit», fait remarquer le président de la Commission.

À la suite d'une embauche, il faut neuf mois pour former un commissaire afin qu'il puisse statuer sur des demandes d'asile, ajoute Me Dion. Donc, si on obtenait demain le feu vert pour de nouveaux postes, il faudrait plusieurs mois avant de réussir à réduire le nombre de dossiers en attente.

Dans une réponse envoyée par courriel, à la suite d'une demande de La Presse, l'attaché de presse du ministre de l'Immigration Ahmed Hussen a indiqué que le gouvernement fédéral avait agi pour tenter de réduire les délais en augmentant sa capacité de traitement des demandes d'asile, en transférant ailleurs les demandes de ceux qui souhaitaient s'installer dans une autre province, ainsi qu'en ajoutant du personnel et des installations. Il a cependant été impossible d'avoir des détails sur ces mesures.

Délai de neuf mois plutôt que deux

En arrivant à la frontière, les migrants sont mis en état d'arrestation par la Gendarmerie royale du Canada. Ils sont ensuite soumis par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à une enquête de sécurité pour vérifier qu'ils n'ont pas d'antécédents criminels.

Ensuite, ils peuvent faire une demande d'asile à la CISR. La loi prévoit qu'ils doivent obtenir une audience pour leur demande dans un délai de 60 jours. Mais dans la moitié des cas, ce délai n'est pas respecté. Le temps d'attente moyen est plutôt de neuf mois, souligne Mario Dion.

Le problème, c'est que les demandeurs d'asile ne peuvent pas obtenir de permis de travail tant que leur dossier n'a pas été traité par la CISR. En attendant, ils ont droit à l'aide sociale.

«Mais ces gens veulent travailler dès que possible», souligne Me Stéphanie Valois, avocate spécialisée en immigration, qui a de nombreux clients d'origine haïtienne. «Les Haïtiens, ils travaillent tout le temps, ils ont souvent deux ou trois jobs en même temps.»

50% de refus

De plus, après cette attente dans l'incertitude, plusieurs verront leur demande d'asile refusée. Ils ont la possibilité de faire appel de la décision, mais feront ensuite face à l'expulsion.

Pour les aspirants au statut de réfugié originaires d'Haïti, la proportion d'acceptation est d'environ 50%, comparativement à 60% pour les demandeurs d'asile toutes origines confondues, révèle Mario Dion. La moitié des nouveaux arrivants risquent donc d'être renvoyés chez eux éventuellement.

- Avec Joël-Denis Bellavance, La Presse