Son projet de cimetière à Saint-Apollinaire rejeté par une vingtaine de citoyens, le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) a indiqué hier qu'il envisage de s'adresser aux tribunaux. Un recours qu'il aurait de bonnes chances de remporter, selon l'avocat spécialiste Julius Grey.

Dans les derniers jours, les promoteurs du projet ont évoqué la possibilité de lancer un recours juridique en cas de victoire du Non au référendum de dimanche soir. Cette option est toujours sur la table, a confirmé hier le président du CCIQ, Mohamed Labidi.

«C'est une piste qu'on regarde, a-t-il indiqué en entrevue. Les recours juridiques sont envisageables dans cette situation.

«S'il y a matière à déposer une plainte, a-t-il ajouté, on va le faire.»

Dimanche, une vingtaine de citoyens de Saint-Apollinaire ont bloqué un changement au règlement de zonage qui aurait autorisé la construction d'un cimetière derrière le complexe funéraire Harmonia, situé en plein milieu d'un parc industriel. Le Non a remporté le référendum par 19 votes contre 16.

«Clairement discriminatoire»

La question référendaire ne faisait aucune référence à la communauté musulmane. Sauf qu'aux yeux du CCIQ, il ne fait aucun doute que ce détail a décidé de l'issue du vote.

L'avocate de l'organisme, Nadia El-Ghadouri, estime que le processus référendaire est «questionnable» et que son issue est «clairement discriminatoire». «Ce n'est pas l'usage [du terrain] qui est contesté, selon moi, ce sont les usagers. C'est sûr qu'on est en train de regarder ce qu'on peut faire face à cela», dit-elle.

Si le Centre devait s'adresser aux tribunaux, il aurait de bonnes chances de gagner sa cause, estime Me Julius Grey, spécialiste des droits de la personne. La pratique d'une religion est protégée par la Charte des droits et des libertés, a-t-il expliqué. Et l'application de la Charte n'a pas à être soumise à un vote.

«La Charte n'a pas été adoptée dans un but majoritaire, et la démocratie libérale n'est pas une démocratie populiste où la majorité a toujours raison», fait-il valoir.

«En droits fondamentaux, que ce soit liberté de religion, de parole, d'association ou d'égalité, ce n'est pas parce que la majorité le pense qu'on peut le faire», soutient Me Grey.

Le CCIQ pourrait s'adresser à la cour pour faire déclarer le référendum invalide, estime l'avocat. Il pourrait aussi convaincre la municipalité d'autoriser le projet malgré le résultat référendaire, ce qui forcerait les opposants à s'adresser aux tribunaux.

«Qu'elle soit tenue ou non de respecter un référendum [...], [la Ville] n'est pas tenue lorsque ce référendum touche les droits fondamentaux parce que l'opinion de la majorité n'y est pour rien», a résumé Me Grey.

«Pas souhaitable»

Un recours devant les tribunaux «n'est pas souhaitable», estime Sunny Létourneau, qui dirige le Comité de l'alternative citoyenne. Ce groupe a rassemblé les adversaires du projet de cimetière musulman au cours des derniers mois.

Selon elle, le CCIQ ne peut faire fi du verdict des électeurs après avoir reconnu les règles et participé à la campagne référendaire. «S'acharner, c'est aller à l'encontre de la démocratie, qui est le fondement même de notre pays», dit Mme Létourneau.

St-Pierre «déçue», Blais minimise

La ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre, s'est dite «déçue» du rejet du cimetière musulman, hier. «Je trouve ça évidemment dommage qu'on ne permette pas à des gens d'avoir un lieu pour que leurs proches puissent avoir leur repos éternel», a-t-elle déclaré.

Le ministre François Blais, responsable de la région de Québec, a minimisé la portée du résultat référendaire, car un autre cimetière de la région de Québec a inauguré un espace réservé aux musulmans. «Les résultats ne doivent aucunement être interprétés comme le rejet d'une communauté par rapport à une autre, a-t-il indiqué dans une déclaration écrite. Nous avons appuyé la communauté musulmane dans son désir d'avoir un premier site de sépulture à Québec. Un tel site a été inauguré à Saint-Augustin il y a quelques jours.»

Le bureau du premier ministre Philippe Couillard n'a pas commenté le dossier hier, ni la ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, ni le ministre des Transports Laurent Lessard, dont la circonscription englobe le territoire de Saint-Apollinaire.

«Triste», selon Labeaume

Le rejet par référendum du projet de cimetière musulman à Saint-Apollinaire est «triste» et «regrettable», selon le maire de Québec, Régis Labeaume. Et il soulève de sérieuses questions sur la gouvernance des villes, a-t-il ajouté. «Quarante-neuf personnes qui avaient droit de vie ou de mort sur un projet qui a un impact sociologique important au Québec, a-t-il souligné. Juste là, c'est assez incroyable. Il faut se poser des questions sur notre système de gouvernance.»

Dans la foulée de la tuerie qui a fait six morts au Centre culturel islamique de Québec, en janvier, le maire avait plaidé en faveur d'un lieu d'enterrement propre à la communauté musulmane.

L'archevêque de Québec déçu

L'archevêque de Québec, Gérald Cyprien Lacroix, s'était prononcé en faveur du cimetière musulman de Saint-Apollinaire la semaine dernière. Sur son compte Twitter, hier, il a dit regretter l'issue du référendum de dimanche.

«Comme bien d'autres, déçu du résultat du référendum à Saint-Apollinaire, a écrit Mgr Lacroix. Il me semble que c'est tout à fait légitime que nos frères et soeurs musulmans puissent trouver un endroit qui leur est propre pour enterrer leurs défunts dans notre grande région de Québec.»