Forcée par le gouvernement de retirer 1000 appareils de loterie vidéo (ALV) au cours des deux prochaines années, Loto-Québec a décidé de prendre en compte la présence des travailleurs dans les secteurs jugés problématiques pour mener cette opération. Ainsi, la société d'État calculera le ratio maximal de 2 machines par tranche de 1000 habitants et de 2 établissements exploitants des ALV par tranche de 5000 habitants en additionnant les travailleurs aux résidants.

Concrètement, cette méthode de calcul peut avoir une incidence importante sur les secteurs en abaissant la concentration d'ALV. Du coup, un secteur qui devrait être visé par l'obligation de retrait d'ALV pourrait ainsi répondre aux critères socioéconomiques de Loto-Québec.

Par exemple, les milliers de personnes venues des quatre coins de l'île de Montréal, de la Rive-Sud ou de la Rive-Nord qui se rendent quotidiennement à leur travail au centre-ville de Montréal - où la concentration d'ALV est deux fois plus importante (4 ALV/1000 habitants) que le plafond établi - viendront gonfler la population et modifier le ratio.

Loto-Québec a expliqué à La Presse que cette façon de faire lui permet de «tenir compte de la réalité et du bassin potentiel de clients des bars dans un secteur». Cette méthode a été approuvée par le gouvernement lors de l'approbation des critères socioéconomiques en 2011, précise-t-on. Elle est mentionnée dans le «Plan d'action de Loto-Québec visant à resserrer l'encadrement des appareils de loterie vidéo (ALV) sur le territoire québécois et à en diminuer le nombre», rendu public en décembre dernier.

Dans tous ses documents officiels qui font état de la situation de la loterie vidéo, dont le rapport annuel, Loto-Québec utilise toutefois «la population réelle selon Statistique Canada».

Retrait volontaire

Loto-Québec refuse de révéler les secteurs où elle entend retirer des ALV, jugeant qu'il s'agit «d'une information commerciale qui est traitée de façon confidentielle». Chose certaine, des représentants de la Société des établissements de jeux du Québec (SEJQ) - la filiale de Loto-Québec responsable de la loterie vidéo - ont rencontré des propriétaires de bars dans les différents secteurs visés de la province, au cours des derniers mois.

«À Saint-Eustache, on a déduit de la rencontre bidon de 10 minutes que la SEJQ voulait couper 30% des machines», affirme Olivier Hamel, vice-président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec, et lui-même tenancier de bar.

«On se fait brasser», ajoute M. Hamel.

Ce dernier critique vertement l'attitude de Loto-Québec pour le manque d'information. Selon M. Hamel, la société d'État s'arroge «un droit de vie ou de mort sur les commerçants». La méthode de calcul des ratios avec les travailleurs est une illustration d'un «processus qui n'a ni queue ni tête», ajoute-t-il.

Avant de procéder au retrait «paramétrique» des machines, opération qui se mettra en branle au début de juillet, selon les informations recueillies, Loto-Québec a lancé en mars dernier un programme de retrait volontaire. Une compensation financière est versée au propriétaire du bar où des ALV seront retirés ; elle équivaut à 22% des revenus générés par les ALV au cours des 12 derniers mois.

Le programme de retrait volontaire se termine aujourd'hui et n'aurait permis la récupération que d'une centaine des 1000 machines devant être retirées. Loto-Québec a refusé de confirmer l'information.

«Rien d'occulte»

À la Direction de la santé publique (DSP) de Montréal, où des travaux récents ont permis de repérer des quartiers de Montréal qui sont particulièrement vulnérables en regard de la concentration d'ALV, on se montre prudent quant aux méthodes de calcul de Loto-Québec. «Nous travaillons selon des critères scientifiques clairement expliqués. Il n'y a rien d'occulte dans ce qu'on présente. [...] La façon dont Loto-Québec calcule l'offre de jeu n'a pas d'impact sur notre travail», indique le sociologue Jean-François Biron, auteur de l'étude de la DSP de Montréal.

M. Biron rappelle qu'au-delà des statistiques et des chiffres, «il ne faut pas perdre de vue les individus et les familles qui sont affectés lorsqu'il y a une forte concentration d'ALV». Il souligne également l'importance pour tous les acteurs impliqués dans le dossier «de faire preuve d'une grande transparence».

La décision du gouvernement de réduire le nombre de machines dans des quartiers vulnérables fait suite à une enquête publiée par La Presse l'automne dernier. Il en ressortait notamment que Loto-Québec ne respecte pas sa propre norme et que la concentration d'ALV est jusqu'à trois fois plus importante dans 48 municipalités de 5000 habitants et plus.