C'est un changement de culture majeur pour la Sûreté du Québec. Depuis deux mois, une nouvelle « tour de contrôle » ouverte 24 h sur 24 h est branchée sur chaque appel reçu par les policiers et peut suivre en direct leurs interventions, de Radisson aux Îles-de-la-Madeleine, de Kuujjuaq à Lacolle, en passant par tous les grands centres. Une façon pour l'organisation de ne plus jamais connaître un cafouillage comme celui de l'autoroute 13 l'hiver dernier. La Presse a visité les lieux.

LES LEÇONS DE L'A13

Son visage se durcit encore quand il évoque l'événement. Le directeur général de la SQ, Martin Prud'homme, n'a toujours pas digéré les lacunes de l'intervention policière du 14 mars dernier. Des centaines d'automobilistes étaient restés coincés sur l'autoroute pendant la tempête de neige. Un officier avait tardé à organiser leur évacuation. En pleine nuit, l'information ne s'est pas rendue aux échelons supérieurs, qui n'ont pu corriger le tir. « Ça me choque parce qu'on a toujours bien performé pendant les crises. La Sûreté a ses faiblesses, mais en opérations, on est très performants d'habitude. Ensuite est arrivé l'autoroute 13, un exemple de ce qui ne devrait jamais arriver. Il y a eu une faille, un bris dans la chaîne de commandement. Je ne suis pas fier. Ça n'arrivera pas deux fois », dit-il.

ACCÉLÉRATION DES PRÉPARATIFS

Dès le début de 2016, le directeur général avait évoqué un plan pour la création d'un poste de contrôle décisionnel ouvert 24 h sur 24, 7 jours sur 7. « Comme un cockpit d'avion », dit-il, ou encore une « tour de contrôle ». Il s'agit là d'une tendance nord-américaine chez les services de police. La Police provinciale de l'Ontario vient d'ailleurs d'ouvrir un centre similaire. Le projet était dans les cartons lorsqu'est survenu le cafouillage de l'autoroute 13. « Ç'a accéléré les choses », affirme M. Prud'homme. Dès le 20 mars, sous la direction du nouveau directeur des mesures d'urgence, l'inspecteur-chef Jimmy Potvin, le nouveau Centre de vigie et de coordination opérationnelle était mis en place. « C'est un centre qui garde l'auto sur le chemin jusqu'à ce qu'un officier sur le terrain vienne prendre le volant », résume le lieutenant Jason Allard, porte-parole de la SQ.

MAL DORMIR

Un des buts est de combler le flottement occasionné par la chaîne téléphonique en dehors des heures de travail. Pendant la nuit, par exemple, plusieurs officiers sont disponibles sur appel en cas de problème. Un policier réveille son supérieur, qui réveille le sien, et ainsi de suite. Martin Prud'homme se souvient du stress que cela engendrait lorsqu'il était cadre aux enquêtes. « Des années à mal dormir de peur de manquer l'appel », dit-il. De Montréal, le nouveau centre voit défiler en direct chaque carte d'appel et un officier de garde peut, au besoin, envoyer des ordres sur le terrain à Baie-Comeau pendant que l'officier local se réveille, prend connaissance de la situation, s'habille et se rend sur place.

UNIFORMISER LA RÉPONSE

Responsable d'un territoire immense, la Sûreté du Québec a été organisée ces dernières décennies selon un modèle plutôt décentralisé. Martin Prud'homme assure qu'il ne voulait pas enlever des responsabilités aux officiers en région, mais plutôt offrir un « support additionnel » et du « coaching » en direct. Un autre objectif est d'uniformiser le service offert partout au Québec. Dans certaines régions éloignées, le temps de déploiement de certaines unités spécialisées peut être plus long. Le centre est en mesure de suivre la situation et de coordonner le travail des patrouilleurs jusqu'à l'arrivée des spécialistes si nécessaire. Les gens sur le terrain ont maintenant l'obligation de se rapporter au centre. « Ça n'a jamais été comme ça », souligne M. Prud'homme.

DES HEURES DÉCISIVES

La SQ espère aussi améliorer sa réactivité lors des demandes d'assistance de corps policiers municipaux pour des enquêtes criminelles qui dépassent leur juridiction. Lorsqu'un petit service de police demande de l'aide pour traiter une disparition qui prend tout à coup des allures d'homicide, encore une fois, « la chaîne téléphonique amenait des délais », selon M. Prud'homme. Or, les premières heures sont souvent décisives lors d'une enquête. « En deux heures, tu peux changer une scène de crime et cacher des choses », dit-il.

SEPT PERSONNES AU MINIMUM

Le nouveau centre s'abreuve à toutes les sources d'information accessibles. Il voit défiler les appels entrants partout au Québec, mais il a aussi accès en direct aux caméras du ministère des Transports sur le réseau routier (l'infrastructure de la SQ ne le permettait pas jusqu'ici) et à la centrale de renseignements criminels. Bientôt, les policiers responsables de la vigie des réseaux sociaux et de la cybersurveillance s'y installeront aussi. Pour suivre tout ce qui se passe en direct, il faut évidemment beaucoup de personnel. Au moins sept personnes seront en fonction au centre, de jour comme de nuit, incluant trois officiers. « Ce sont de gros investissements en ressources humaines. Nous allons avoir une très grosse tour de contrôle à la Sûreté », affirme M. Prud'homme.