La crise des opioïdes cogne à la porte et le Québec doit accélérer ses préparatifs pour y faire face, a averti hier un coroner qui s'est penché sur la mort d'un toxicomane de Gatineau, victime du Fentanyl.

Cette puissante drogue fauche des centaines de vies dans l'ouest du pays et dans le nord-est des États-Unis, où la crise fait rage. Le Québec y échappait largement jusqu'à aujourd'hui. Mais peut-être plus pour longtemps.

«Ça s'en vient», a affirmé en entrevue le coroner Paul G. Dionne, qui demande de «tout de suite commencer à mettre de l'ordre dans nos affaires». Le médecin presse le gouvernement de faire progresser la mise sur pied d'un programme de surveillance des opioïdes devant l'actuelle «augmentation des décès reliés aux opioïdes, notamment au Fentanyl» au Québec.

Il faut agir, a aussi plaidé Marcel Anctil, sous le choc après avoir lu le rapport du Dr Dionne sur son fils Louis. Celui-ci est mort intoxiqué par un cocktail de drogues incluant le Fentanyl en mars 2016.

«Il va falloir qu'il y ait des efforts concertés pour essayer d'endiguer ce problème», a demandé le père endeuillé, qui vit depuis un an avec un sentiment de culpabilité qui ne le quitte pas. «Je ne sais pas on est rendus à combien de morts au Québec et au Canada, mais ça augmente de façon exponentielle. [...] C'est une vraie épidémie.»

Son fils avait six fois la dose létale de Fentanyl dans son sang.

Vendre du Dilaudid pour acheter du Fentanyl

Louis Anctil a commencé à consommer des opioïdes dans la foulée d'un accident de la route survenu au début des années 2000, a indiqué son père. La situation a dérapé jusqu'à en faire un polytoxicomane. L'homme de 40 ans était bien connu des policiers et avait fait de la prison au Québec et en Ontario.

Le rapport sur son décès montre du doigt son médecin, qui avait renouvelé sa prescription de Dilaudid et d'Hydromorph Contin par fax pour un an sans l'avoir vu depuis 16 mois. «[Louis Anctil] vendait la majorité de sa médication prescrite pour s'offrir le Fentanyl sur le marché noir», peut-on lire dans le rapport du coroner Dionne.

C'est ce type de situations qui pourraient être identifiées grâce à un système de surveillance des prescriptions et de distribution des opioïdes. Car dans l'état actuel des choses, le système «ne parvient pas à endiguer les problèmes d'abus de substances prescrites à des fins médicales», a écrit le docteur Dionne dans son rapport. «Il en va de la santé publique et de la protection de la vie humaine.»

Le coroner Dionne lui-même a tiré la sonnette d'alarme parce que «ça bougeait pas cette affaire» de programme de surveillance, a-t-il dit. «J'ai de la misère à identifier à quelle place ça bloque.»

Voulu par les ordres professionnels de la santé, il permettrait d'identifier les médecins et les pharmaciens trop peu scrupuleux, ainsi que les patients qui magasinent leurs prescriptions. Mais il se bute à des inquiétudes en matière de protection de la vie privée : la RAMQ ne peut pas partager les informations qu'elle détient sur les patients.

«Il s'agit d'un enjeu qui relève de l'accès à l'information et aux renseignements personnels. Le ministre a déjà sensibilisé sa collègue responsable du dossier», a indiqué le cabinet du ministre de la Santé par courriel, hier. «Ceci dit, nous sommes sensibles aux enjeux entourant la consommation d'opioïdes. C'est pourquoi nous collaborons déjà étroitement avec les ordres professionnels sur cet enjeu.»

«Essentiel»

Pour le Collège des médecins, un tel programme est «essentiel» pour permettre au Québec de faire face efficacement à la crise nord-américaine des opioïdes. Il permettrait de faire «une surveillance beaucoup plus étendue», alors qu'actuellement l'ordre professionnel ne peut enquêter que sur la base d'un signalement, a expliqué Charles Bernard, son directeur. «Ça peut se faire, mais ça prend l'accès aux données en temps réel.»

Le Dr Bernard a rappelé que les opioïdes tuent 91 personnes par jour aux États-Unis. Il faut agir «avant que ça devienne comme ça au Québec», a dit le médecin.

Une rencontre avec la ministre responsable de l'Accès à l'information, Rita de Santis, est prévue sous peu.

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QU'EST-CE QUE LE FENTANYL?

Il s'agit d'un «analgésique et [d'un] sédatif narcotique synthétique très puissant surtout utilisé dans le traitement des douleurs sévères chroniques ou aiguës, mais ce produit est aussi utilisé comme drogue d'abus», a écrit le coroner Dr Gilles Sainton dans un rapport publié en 2015.

Les effets du fentanyl sont comparables à ceux de l'héroïne, mais cette molécule «est plus euphorisante et aussi plus sédative et plus analgésiante», a précisé le coroner, qui ajoute qu'une surdose de cette substance peut provoquer «une dépression respiratoire, une bradycardie et une hypotension puis un arrêt respiratoire puis cardiaque».

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Louis Anctil