Jeudi matin, 9 h. Florent Gagné préside une réunion du conseil d'administration de Revenu Québec. Son téléphone sonne, il quitte la salle. Au bout du fil, André Fortier, secrétaire général associé aux emplois supérieurs du Conseil exécutif, le ministère du premier ministre.

Il l'informe que Philippe Couillard veut lui confier une enquête externe sur le cafouillage de l'autoroute 13. M. Gagné accepte. Quarante-cinq minutes plus tard, le premier ministre annonce l'enquête devant la presse parlementaire.

Relevant « à première vue » quelques lacunes dans la gestion de la crise, Florent Gagné se dit « libre » de recommander des sanctions contre les responsables, jusqu'au plus haut niveau de la hiérarchie. Entrevue avec l'ancien mandarin de 71 ans, qui collectionne les mandats gouvernementaux depuis une décennie. La Presse s'est entretenue avec lui.

Comment voyez-vous votre mandat ?

Évidemment, c'est une situation extrêmement déplorable. Il va falloir voir très clairement ce que chacun des acteurs a fait ou n'a pas fait, quel a été son rôle, ses interventions, la coordination de tout ça. Et je vais formuler des recommandations pour que si jamais une situation comme ça se représente, et on sait que ça va arriver, qu'on soit mieux équipé.

Les ministres Lessard et Coiteux ont été tenus dans l'ignorance dans la nuit de mardi à mercredi. Ils n'ont été informés de la situation qu'à leur réveil. Est-ce normal ?

Ce n'est pas normal. C'est toujours une question de jugement de voir si ça vaut la peine de réveiller le ministre ou pas, de le déranger dans ce qu'il fait. Manifestement, on a répondu négativement, que ça ne valait pas le coup. Est-ce qu'il y avait de bonnes raisons d'arriver à cette conclusion-là, ou si les gens étaient complètement dans l'erreur de penser comme ça ? On va le regarder. Après coup, on peut certainement dire [que les ministres auraient dû être avisés]. Dans le feu de l'action, parfois, c'est moins évident parce qu'on ne voit pas l'ampleur du problème immédiatement.

Le premier ministre Philippe Couillard explique le cafouillage par des problèmes de coordination. En constatez-vous à première vue ?

Il y a incontestablement des problèmes de coordination. Il m'apparaît évident à première vue qu'il y a eu des lacunes de coordination entre tous les services. Il s'agira de savoir quelles sont les explications pour ça. Est-ce qu'il y a vraiment des gens qui ont manqué à leurs devoirs ? C'est ce qu'il faut regarder. [...] Je ne connais pas la nature du contrat avec l'entrepreneur et ses responsabilités. Mais il va falloir regarder ça : comment se fait-il qu'on ne pouvait pas avoir l'équipement nécessaire ? Et le Ministère aurait-il pu être en suppléance avec son propre équipement ?

Même si tous les indicateurs étaient au rouge après 22 h, comme l'a dit le ministre Lessard, aucun plan de sécurité civile visant à secourir les automobilistes n'a été mis en branle rapidement. Il y a eu des délais importants...

Vous êtes au coeur du débat qui sera le mien. Il y a des protocoles qui existent. Quand j'étais à la Sûreté et au Ministère, il y avait de tels protocoles. J'imagine qu'il y en a encore aujourd'hui. C'est ça qu'il va falloir déterrer, à savoir la façon dont s'est faite l'intervention et à quel moment on décide que c'est une crise d'importance telle qu'il faut que tous les acteurs soient réunis dans une cellule de crise.

Est-ce que ces protocoles sont trop complexes, lourds ?

C'est évident que les processus sont complexes. Pas juste au MTQ. À la sécurité civile, à la Ville de Montréal, à la SQ. Ce sont toutes de grosses organisations avec des règles administratives, des protocoles de toutes sortes. Dans le cas du MTQ, il y a aussi des contrats avec des entrepreneurs privés. Il y a une certaine complexité dans tout ça. Ce n'est pas facile, ce n'est pas comme une si une seule personne était responsable de tout. Ça demande une bonne coordination, et dans le cas qui nous occupe, il ne semble pas y avoir eu cette collaboration. 

Avez-vous le pouvoir de recommander des sanctions contre quelqu'un ?

J'ai le pouvoir de faire les recommandations que je voudrai bien faire. Si je constate à partir des faits qui me seront présentés qu'il y a lieu de faire une recommandation sur ce point précis, je le ferai. 

Vous avez été sous-ministre aux Transports, à la Sécurité publique, directeur de la Sûreté du Québec, vous les connaissez, les acteurs en cause... Est-ce que la population pourrait penser que vous allez être indulgent ?

J'ai quand même quitté le gouvernement depuis 2006. Il y a peut-être quelques têtes qui sont toujours là. Notamment Mme [Anne-Marie] Leclerc, elle était là quand j'étais au Ministère. Ceci étant dit, même vis-à-vis Mme Leclerc, je peux vous rassurer : si jamais je découvre qu'il y a quelque chose à dire sur cette personne, je vais le dire sans aucune restriction. 

Et les ministres ? Ce serait possible pour vous de dire qu'ils n'ont pas pris les choses en main ?

Je me sens libre de faire toute recommandation qui serait amenée par l'étude des faits. Si ça touche les ministres, ça touchera les ministres. Mais comme ils l'ont dit publiquement, ils n'ont pas été informés. Est-ce qu'on peut leur faire des reproches ? Ce sont des choses qu'on verra. 

Dans quel délai comptez-vous produire votre rapport ?

Je suis en discussion avec le Conseil exécutif. J'ai moi-même demandé que ce ne soit pas trop long, quelques semaines ou quelques mois. Évidemment, c'est un événement coup de poing, qui arrive très subitement, ce n'est pas comme la crise du verglas qui a duré deux mois. Mais je veux faire le tour de tous les intervenants, les rencontrer. J'aurai probablement des commandes à leur passer, il va falloir qu'ils livrent ça et ramasser tout ça. D'ici l'été, je pense que ce serait un bon guess.