Un important contrat de 26 millions accordé par la Ville de Saint-Hyacinthe pourrait avoir été attribué au terme d'un appel d'offres dirigé, prévient le ministère des Affaires municipales. Mais la municipalité conteste vivement cette interprétation en disant que ses démarches étaient non seulement légales, mais lui ont permis d'économiser pas moins de 2 millions.

Au printemps 2015, Saint-Hyacinthe a lancé un appel d'offres pour entreprendre la deuxième phase de son important projet de biométhanisation, qui vise à convertir ses déchets organiques en gaz naturel. Les soumissions reçues étaient toutefois nettement supérieures à l'estimation de la Ville, si bien qu'elle a décidé de reprendre le processus.

Cette fois, plutôt que laisser aux entrepreneurs le soin de déterminer comment intégrer la technologie choisie pour ce projet, Saint-Hyacinthe a décidé de s'entendre au préalable avec le seul fournisseur de ces équipements. Le nouvel appel d'offres prévoyait ainsi que les soumissionnaires devaient intégrer dans leur offre pour 11,1 millions en équipements et services de Dominion & Grimm Environnement inc. (DGEI), seule entreprise québécoise à avoir acquis la technologie allemande choisie.

Plainte

Le ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire du Québec (MAMOT) a toutefois reçu une plainte à l'issue du processus, le gagnant du premier appel d'offres ayant terminé troisième. Au terme de ses analyses, le commissaire aux plaintes a jugé que «l'obligation faite aux soumissionnaires potentiels d'acheter certains équipements d'un fournisseur particulier à un prix préalablement déterminé par la Ville pourrait être une façon de contourner les règles d'adjudication des contrats», a tranché Québec dans une lettre obtenue par La Presse.

Le MAMOT reconnaît que Saint-Hyacinthe a le droit d'imposer une technologie, mais il estime qu'elle devait laisser aux soumissionnaires le soin de s'entendre avec ses fournisseurs. «La Ville aurait dû mentionner la liste des équipements dont elle avait besoin tout en laissant aux soumissionnaires la liberté de négocier avec le ou les fournisseurs de cette technologie ou en leur permettant de présenter des propositions de systèmes équivalents», poursuit le commissaire aux plaintes.

Malgré la découverte de cette situation problématique, le MAMOT ne sanctionnera pas la municipalité, disant que « seul un tribunal pourrait statuer sur la validité des dispositions prévues [...] et sur le caractère dirigé de cet appel d'offres en faveur de DGEI ».

La Ville réplique

Sachant que sa Ville s'expose à un recours judiciaire, le directeur général de Saint-Hyacinthe conteste les conclusions du MAMOT. «On a demandé une révision de cette décision parce qu'on a des prétentions bien différentes», explique Louis Bilodeau.

Saint-Hyacinthe estime en effet qu'elle avait le droit de transiger directement avec DGEI, la loi permettant de s'entendre de gré à gré avec le fournisseur unique d'un produit. Cette façon de faire s'est également avérée payante pour la Ville puisque, en négociant directement avec l'entreprise, elle estime avoir évité de payer, sur ces équipements, des frais administratifs et une marge de profit à l'entrepreneur en construction qui réalisera les travaux. Les économies sont évaluées à 2,1 millions sur un contrat de 26,2 millions.

«Si le Ministère nous dit qu'on n'a pas fait les choses correctement, nous, on va répondre en disant qu'on pense avoir travaillé pour l'intérêt de nos citoyens et de tout le Québec, parce que ce projet est subventionné à 66%.» - Louis Bilodeau, directeur général de la Ville de Saint-Hyacinthe

La facture globale du projet de biométhanisation de Saint-Hyacinthe devrait atteindre les 85,2 millions, dont 42,2 millions proviennent de Québec et 11,4 millions, d'Ottawa.

«On nous dit qu'on aurait dû laisser les entrepreneurs généraux négocier avec le sous-traitant. Nous, on dit non. S'il fallait être sanctionné un jour, on ira expliquer cela aux citoyens, on va être très à l'aise», poursuit M. Bilodeau.

Encore amer de cet épisode, l'entrepreneur qui a perdu le contrat à la suite de la reprise de l'appel d'offres a indiqué qu'il n'entendait pas poursuivre la Ville. Même s'il est convaincu qu'il s'agissait d'un appel d'offres dirigé, Éric Desbiens, de Deric Construction, estime avoir suffisamment perdu de temps avec cette histoire. «J'ai mis un gros X sur Saint-Hyacinthe.»

La Ville de 55 000 habitants s'est lancée en 2008 dans un important projet de biométhanisation qui doit aboutir cette année. L'idée est de convertir les boues d'épuration ainsi que les déchets organiques de la région en gaz naturel, qui sera par la suite injecté dans le réseau de distribution de Gaz Métro. La Ville prévoit commencer à vendre son gaz naturel à partir du 1er avril. Elle évalue que ses équipements seront rentabilisés en 10 ans et qu'elle dégagera environ 5 millions en revenus annuels par la suite.