Huit ans après la crise de la listériose qui avait fait très mal aux petites fromageries québécoises, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) est prêt à assouplir les normes de production au lait cru.

Seulement une douzaine de fromagers de la province travaillent encore le lait cru. Et leur nombre ne cesse de diminuer. 

« Il devrait y en avoir beaucoup plus que ça, lance Marc Bruneau de la Chèvrerie de Buckland, qui fait partie du petit groupe. Faire du lait cru, c'est la chose la plus simple du monde. » 

Selon les fromagers consultés, ce sont plutôt les normes et les contrôles imposés par le MAPAQ qui ont convaincu plusieurs artisans de cesser de travailler le lait cru pour thermiser ou même pasteuriser leur matière première.

« Un rappel national, c'est dur pour l'image, confie Marco Hachey, de la fromagerie La Vache à Maillotte, située à La Sarre. Je crois que c'est ce qui fait que peu de fromageries travaillent le lait cru et qu'il y en a de moins en moins. »

« Nos animaux sortent, on en prend soin, ils mangent du bon foin. Le fromage est une expression du terroir. Chacun de nos fromages est unique et personne ne pourrait le reproduire. »

- Julie Labrecque, de la Ferme les Brousailles, qui travaille le lait cru de ses chèvres

« Assouplir les normes, c'est ce qui peut arriver de mieux, ajoute le fromager Marc Bruneau. Par équité pour les fromages québécois qui sont en concurrence avec des fromages européens qui entrent ici et qui ont été faits avec des normes différentes. » 

Le projet du MAPAQ veut précisément harmoniser les normes de production touchant les bactéries Staphylococcus aureus avec ce qui se fait en Europe, où l'on est plus souple. Le projet pilote, qui devait débuter cet automne, a toutefois été reporté à l'année prochaine. « Peu de fromagers ont répondu à l'appel », a expliqué vendredi après-midi Alexandre Noël, porte-parole du MAPAQ, précisant qu'une rencontre était prévue « pour comprendre les raisons » de ce faible taux de participation. 

L'explication est plutôt claire : il n'y a pas assez de fermes qui travaillent avec le lait cru pour mener le projet, et tant que les normes ne seront pas plus souples, les fromageries ne se lanceront pas dans le lait cru, résume Louis Arsenault, de la Fromagerie des Grondines, néanmoins ravi de cette ouverture du MAPAQ.

« Ça serait un pas dans la bonne direction et ça pourrait inciter d'autres fromageries à se lancer. »

Le porte-parole du Ministère a toutefois insisté pour préciser que « l'implantation des normes européennes impose des changements au-delà de la simple modification du nombre de bactéries Staphylococcus aureus tolérées dans un fromage » et que les normes européennes ne sont pas nécessairement moins sévères. Il a aussi indiqué que le projet n'était pas réservé exclusivement aux fromagers qui travaillent le lait cru. Malheureusement, aucun expert du secteur laitier au MAPAQ n'était disponible la semaine dernière pour fournir des informations détaillées. 

UNE OUVERTURE QUI TOMBE BIEN

L'ouverture du MAPAQ est bien reçue par les artisans et tombe à point. Plusieurs craignent l'arrivée imminente de fromages autorisée par le traité de libre-échange avec l'Europe (AECG). 

Il y a, au Québec, 116 fromageries. On peut considérer que 10 % qui travaillent avec le lait cru, c'est beaucoup. Il faut toutefois calculer que ce sont de petites entreprises, parfois de très petites, dont la production est écoulée en circuits courts : à la ferme, dans les marchés ou quelques points de vente. Les grands fabricants, Saputo, Parmalat et Agropur, ne faisant pas partie du groupe, la quantité de fromages au lait cru représente une minuscule part de la production du fromage au Québec.

« Travailler avec le lait cru, c'est créer le lien avec le terroir, donner une identité unique aux fromages », selon Simon-Pierre Bolduc, de la Fromagerie La Station.

Selon Louis Arsenault, la multiplication des fromagers-artisans dont on s'est tant vanté au Québec est stoppée et le nombre de petites fromageries est relativement stable depuis cinq ans. 

Malgré cela, le commerçant Gilles Jourdenais, de la Fromagerie Atwater, à Montréal, est convaincu : « L'industrie du fromage québécois va très, très bien, dit-il. Beaucoup de fromagers ont de la misère à fournir présentement. » Et cela vaut pour les fabricants qui travaillent avec tous les types de lait, dit-il.

Et si le MAPAQ révisait ses normes, certains reviendraient-ils au cru ? 

« C'est certain », lance Léa Lehmann, de la fromagerie du même nom, à Hébertville, au Lac-Saint-Jean. Après la crise de la listériose, la petite fromagerie familiale avait commencé à thermiser son lait, « par nécessité ». « On ne pouvait pas se permettre de jeter des lots parce que les fromages dépassaient des normes trop strictes, dit Léa Lehmann. C'était une question de survie d'entreprise. Mais le lait cru, ça reste l'idéal pour un fromage fermier. »