Des activistes faisant campagne depuis des années pour obtenir l'interdiction de l'amiante disent avoir été infiltrés par un espion embauché par une firme de renseignements privée. L'individu en question avait notamment obtenu la confiance d'une militante canadienne connue qui l'a mis en contact avec le député Amir Khadir en septembre.

Comment l'homme s'est-il immiscé parmi les activistes ?

Kathleen Ruff, militante canadienne, affirme avoir été présentée à celui qui serait un espion lors d'une rencontre en Thaïlande portant sur l'amiante, il y a quelques années. Elle indique qu'il se décrivait comme un documentariste britannique voulant tourner de l'intérieur un film sur la campagne internationale menée pour obtenir l'interdiction complète du produit controversé. Mme Ruff affirme qu'il a fini par jouir de son entière confiance, au point d'être délégué par son organisation pour participer en 2015 à la Convention de Rotterdam, qui régit le commerce international de produits dangereux. « Je ne l'ai pas cru lorsqu'on m'a dit qu'il était en fait un espion. Je n'en reviens toujours pas », relate-t-elle.

Avait-il un comportement suspect ?

Mme Ruff affirme que l'individu en question multipliait les interventions idéologiques reflétant les positions des activistes et les preuves de bonne foi et qu'il est allé jusqu'à s'inquiéter dans un courriel de la possibilité que l'organisation qu'elle chapeaute soit un jour infiltrée par la Russie au moyen de courriels piégés. « Il devait bien rire en écrivant ça », souligne Mme Ruff, qui l'a aidé à rencontrer le député Amir Khadir en septembre lors d'une visite d'une dizaine de jours au Canada.

Qu'en dit le député ?

M. Khadir a indiqué hier en entrevue que la rencontre avait eu lieu à son bureau de l'Assemblée nationale le 21 septembre. Le fait que l'homme se présentait comme documentariste, mais n'avait pas de caméra lui a semblé « curieux », mais il ne s'en est pas formalisé. « Comme il prenait des notes, je me suis dit qu'il faisait peut-être une prérecherche en vue de tourner plus tard », relève M. Khadir. L'élu affirme que son interlocuteur lui a notamment posé des questions sur les sources de financement des activistes. « Je trouve ça vraiment odieux comme procédé », dit-il.

Connaît-on l'identité de celui qui espionnerait les militants ?

Tant Mme Ruff que M. Khadir connaissent son nom, mais ils refusaient hier de le divulguer de crainte de faire dérailler une action en justice intentée en Grande-Bretagne relativement à l'affaire. Deux activistes anti-amiante anglais accusent la société de renseignement K2 Intelligence, qui a des bureaux en Amérique du Nord et en Europe, d'avoir employé l'individu en question pour les surveiller et réclament des dommages exemplaires. L'homme a obtenu du tribunal une ordonnance protégeant son identité. L'un des avocats représentant les activistes, Richard Meeran, a indiqué hier dans un courriel qu'il espérait faire lever l'interdit rapidement à ce sujet, mais que le bafouer actuellement risquerait de tout faire dérailler. Il relève que le « but premier de l'action est de chercher à déterminer quelles informations confidentielles ont été obtenues et à qui elles ont été transmises » et précise que le client ayant bénéficié ultimement des informations colligées à la demande de la firme de renseignements est une « société ou un individu ayant des intérêts dans le secteur de l'amiante ». Actuellement, la Russie et le Kazakhstan sont les deux principaux pays exportateurs du produit, relève Mme Ruff, qui ne dispose pas d'informations lui permettant de déterminer l'identité du client.

Que dit la firme K2 Intelligence ?

Une porte-parole, Paula Zirinsky, a déclaré hier que l'entreprise se « défendrait vigoureusement contre les allégations » faites à son encontre. Elle a ajouté que K2 Intelligence ne discutait pas publiquement de ses clients ou de leurs intérêts. Selon le quotidien anglais The Guardian, qui a révélé la poursuite en cours dans sa livraison de jeudi, le tribunal a ordonné à la firme de dévoiler l'identité de son client aux requérants. Les activités au Canada de l'homme soupçonné d'espionnage n'ont pas été abordées par le journal. Elles ne figurent pas non plus dans l'action en cours, relève Mme Ruff, qui s'est fait dire de garder le silence à ce sujet lorsqu'elle a été informée du double jeu de son interlocuteur, en septembre, parce que la poursuite était en préparation. Selon elle, des avocats ont reconnu l'individu suspect parce qu'ils avaient eu affaire à lui dans une tentative d'infiltration touchant un autre dossier environnemental. « Il était au coeur de nos réunions et avait accès à toutes nos discussions et tous nos plans. Quand j'y pense, ça me lève le coeur », dit Mme Ruff.