Afin de « dynamiser » ses ventes de billets de loterie, Loto-Québec a commencé à évincer des organismes sans but lucratif (OSBL) qui gèrent ses kiosques dans les centres commerciaux à la faveur d'entreprises privées, a appris La Presse.

Depuis près de 40 ans, les kiosques de billets de loterie dans les centres commerciaux ne sont pas exploités par Loto-Québec, mais bien par des groupes communautaires. La société d'État leur cède la gestion en contrepartie d'une commission sur les ventes.

Le programme a été mis sur pied à la fin des années 70 pour renforcer la mission sociale de la société d'État. Les profits des points de vente constituent un revenu important pour les organismes afin de financer leurs activités. L'exploitation d'un kiosque leur rapporte en moyenne 20 000 $, parfois davantage, selon différents groupes consultés dans les derniers jours.

Or, dans une lettre envoyée en mai, Loto-Québec a informé les OSBL qu'elle a modifié sa stratégie de distribution. L'ancien modèle, a-t-elle expliqué, « n'est plus optimal et doit être dynamisé pour en assurer la pérennité ».

Dans sa lettre, Loto-Québec encourageait les OSBL qui exploitent les kiosques à participer à l'appel de propositions lancé l'été dernier. Mais pour tous ceux que La Presse a joints, il était évident que la réforme visait à confier la gestion des kiosques à des entreprises privées.

Photo Robert Skinner, Archives La Presse

Loto-Québec a refusé de fournir des chiffres sur les ventes de ses comptoirs, indiquant que la « donnée pertinente » est plutôt le nombre de kiosques, qui a diminué de 121 à 109 en 10 ans.

Archives La Presse

Amir Khadir, député de Québec solidaire

Parmi les critères utilisés par Loto-Québec pour sélectionner les nouveaux exploitants, on trouve l'expérience et la capacité de gestion, ainsi qu'une évaluation de la capacité financière des futurs exploitants.

« En tant qu'organismes à but non lucratif, notre but n'est pas de générer des profits. [...] C'est sûr qu'ils ne nous choisiront pas. » - L'administratrice d'un OSBL de la région métropolitaine, qui a préféré garder l'anonymat 

C'est une entreprise dirigée par l'homme d'affaires Benoît Lalonde qui a remporté le premier appel de propositions. Il a obtenu la gestion de 10 kiosques qui étaient jusque-là exploités par des OSBL.

Loto-Québec prévoit lancer d'autres appels d'offres semblables en avril et en novembre 2017.

QUÉBEC SOLIDAIRE SONNE L'ALARME

Le député de Québec solidaire Amir Khadir est le premier élu à sonner l'alarme sur la nouvelle stratégie de détail de Loto-Québec.

« Ces organismes sont très dépendants de ces revenus, et Loto-Québec est en train de les priver d'un financement assez important qui va avoir un impact sur les services qu'ils sont capables d'offrir », dénonce M. Khadir.

À ses yeux, il est clair que Loto-Québec se désengage de sa mission sociale et que c'est le gouvernement libéral qui est l'ultime responsable.

« Les gens que ce gouvernement a mis en poste dans les institutions de l'État ne semblent avoir aucune considération sur les finalités de nature publique et sociale de leur action », dénonce M. Khadir. 

« Ils sont en train de privatiser une partie des activités sans aucune justification, de manière relativement opaque, sans consultation de ces groupes, avec des méthodes assez discutables. »

La Presse s'est entretenue avec cinq dirigeants d'OSBL. Chacun s'est dit inquiet de la réforme de Loto-Québec.

« C'est une mauvaise nouvelle. Ça va faire générer des profits à une entreprise qui n'en a pas vraiment besoin. C'est nous, les OSBL, qui avons besoin d'argent pour le distribuer à nos membres et offrir de meilleurs services », plaide l'administrateur d'un organisme qui exploite un kiosque.

« PROFONDES TRANSFORMATIONS »

Loto-Québec soutient qu'elle n'échappe pas aux « profondes transformations » qui modifient le marché du détail. La société d'État a refusé de fournir des chiffres sur les ventes de ses comptoirs, indiquant que la « donnée pertinente » est plutôt le nombre de kiosques, qui a diminué de 121 à 109 en 10 ans.

« La pression sur les loyers est très forte de la part des centres commerciaux et, étant donné la réalité des organismes sans but lucratif (OSBL), il devenait difficile de payer le juste prix du marché pour nos places d'affaires, a expliqué le porte-parole de Loto-Québec, Patrice Lavoie. Chaque fois qu'un kiosque était libre, nous avions de la difficulté à trouver un OSBL pour en assurer l'opération. »

Les OSBL sont « fortement » encouragés à participer aux appels de propositions, précise Loto-Québec. Un agent de liaison a été mis à leur disposition pour répondre à leurs questions. Ceux qui perdent la gestion de leur kiosque recevront une compensation équivalant à la somme qu'ils ont reçue pour l'année financière 2015-2016.

« Nous souhaitons fortement que des OSBL postulent et soient retenus dans le cadre du deuxième et du troisième appel d'offres. D'ailleurs, les mêmes soutien et considération seront apportés afin de donner aux OSBL qui le désireront toutes les chances d'être sélectionnés. »

 - Patrice Lavoie, porte-parole de Loto-Québec

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APPEL D'OFFRES SUSPECT


Loto-Québec a lancé le premier appel de propositions pour la gestion de ses kiosques à quelques heures des vacances de la construction. Le concours a été lancé le 19 juillet, mais ce n'est que le vendredi 22 juillet, dernier jour ouvrable avant le congé annuel, qu'un avis public a été aperçu dans le quotidien Le Devoir. Les entreprises intéressées devaient soumettre leur candidature avant le 29 juillet, un délai de quelques jours à peine. Le député solidaire Amir Khadir soupçonne Loto-Québec d'avoir agi ainsi pour décourager des OSBL de participer. « Tout cela entoure la chose d'une couche de suspicion que nous ne pouvons pas balayer d'un revers de main », a-t-il dit. Loto-Québec soutient avoir avisé rapidement les OSBL de la tenue du concours. « Nous nous assurerons de laisser un délai de publication plus long pour les prochains appels de propositions », a indiqué le porte-parole Patrice Lavoie.

MOINS RENTABLE

La seule gestionnaire d'OSBL qui a accepté d'être citée dans notre reportage s'est dite préoccupée par les « rumeurs » entourant les intentions de Loto-Québec. Mais elle a également indiqué que l'exploitation des kiosques est moins rentable qu'auparavant. Natalie Chapman, directrice de l'Association de l'Ouest-de-l'Île pour les handicapés intellectuels, indique que son organisme songeait à se retirer de cette activité bien avant la réforme de Loto-Québec. Pourquoi ? Parce que la gestion des stands entraîne de nombreux tracas administratifs et parce que les ventes de billets de loterie sont en recul. « L'année passée, je pense qu'on a eu 20 000 $ en profits, ce qui est difficile à remplacer, bien sûr, dit Mme Chapman. Mais ça nous coûte beaucoup et ça prend beaucoup d'énergie. »

DISPARU DU RAPPORT ANNUEL

Le rapport 2014-2015 de Loto-Québec annonçait l'installation de 20 nouveaux kiosques « de nouvelle génération » afin « d'améliorer l'expérience des consommateurs ». On prévoyait que l'ensemble des 109 kiosques seraient remplacés en quatre ans. On précisait par ailleurs que « les kiosques de Loto-Québec sont gérés par des organismes sans but lucratif (OSBL) ». Le mot « kiosque » a disparu du rapport annuel 2015-2016, publié plus tôt cette année. Ce rapport explique ainsi la nouvelle stratégie distribution : « Le nouveau modèle libère la force de vente des tâches administratives pour la recentrer sur la mise en marché des produits. »

- Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse