Les propos tenus lundi par Philippe Pichet, chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), n'ont en rien rassuré les dirigeants des principales salles de rédaction de la métropole. Au contraire.

«M. Pichet a dit qu'il respectait l'idée de la protection des sources, mais que la police avait une job à faire et que c'était de faire des enquêtes, a rapporté Éric Trottier, éditeur adjoint et vice-président à l'information de La Presse. Ce n'est donc pas la police qui va ajouter des protections aux sources journalistiques.»

«On est inquiets parce qu'ils ont peut-être corrompu toutes les sources de Patrick Lagacé, a poursuivi M. Trottier. Et il n'est pas le seul à avoir des contacts dans la police qui ont pu être interceptés. Est-ce qu'ils espionnent Daniel Renaud? Vincent Larouche? Tous les patrons des autres salles se posent la même question.»

Ainsi, l'éditeur adjoint de La Presse et patron de Patrick Lagacé n'a pas eu à évoquer une longue liste d'arguments pour persuader ses homologues des autres médias de joindre leurs voix à la sienne pour dénoncer la situation.

«Je n'ai pas été difficile à convaincre, admet d'entrée de jeu Michel Cormier, directeur général de l'information de Radio-Canada. C'est la protection des sources de tous les journalistes qui est en cause. Si les gens qui nous parlent ne savent pas si la conversation est écoutée, comment peuvent-ils être en confiance? C'est fondamental, ce qui est en cause.»

Le vice-président information de Groupe média QMI, Dany Doucet, abonde dans le même sens. D'ailleurs, pas plus tard qu'en septembre dernier, l'ordinateur du journaliste du Journal de Montréal Michaël Nguyen a été l'objet d'une perquisition par la Sûreté du Québec à la suite d'une plainte du Conseil de la magistrature.

«On a des journalistes qui ont été suivis, perquisitionnés. Mais de là à faire l'objet d'une surveillance à distance, c'est une limite qui a été dépassée, a expliqué M. Doucet. Il y a un cumul d'incidents importants au Québec, et je crois plus que jamais qu'il faut défendre la liberté de la presse.»

Le chien de garde de la société

Dany Doucet ne se fait pas d'idées : la défense de la liberté de la presse sera toujours un perpétuel combat. Cette alliance des salles de nouvelles devant cette nouvelle offensive allait donc de soi.

«On a confié, comme société, des pouvoirs immenses aux policiers et aux tribunaux, a-t-il relaté. Ils ont le pouvoir d'arrêter, de mettre en prison. Mais la seule raison pour laquelle on leur a confié des pouvoirs aussi importants, c'est à condition qu'il y ait une liberté de la presse pour les surveiller.»

Qui sont les autres?

À ce jour, aucun de ces dirigeants ne sait si des journalistes de leur salle de rédaction ont été l'objet d'espionnage de la part d'un corps policier. Le directeur du SPVM a refusé de dire s'il y avait d'autres cas comme celui de Patrick Lagacé.

«J'espère que le fait d'avoir une réaction aussi unanime de chefs de nouvelles - ce qui est extrêmement rare, parce que nous sommes beaucoup plus souvent des concurrents - sera une prise de conscience pour les autorités, avance Michel Cormier. J'espère qu'elles verront qu'unanimement, on trouve cela inacceptable et que ça aura un effet.»

Pareillement, Éric Trottier espère que cette missive qu'il a mise en oeuvre aura des échos jusqu'à la colline Parlementaire. D'ici là, les avocats de La Presse travaillent à la protection de Patrick Lagacé et des informations qui lui ont été confiées. D'autres recours contre la police sont aussi étudiés.

«Pour nous, le cas de Patrick Lagacé, ç'a été la goutte qui a fait déborder le vase. Ils ont peut-être corrompu toutes ses sources. C'est extrêmement grave. Au final, des sources vont se taire au lieu de venir nous voir et de se brûler», a dénoncé M. Trottier.