Le Canada est-il prêt à gérer un retour massif de djihadistes sur son territoire ? Non, répondent des experts. Pourtant, une éventuelle chute de Mossoul, dernier fief du groupe armé État islamique (EI) en Irak, risque de pousser de jeunes Canadiens partis gonfler les rangs de l'EI à tenter de revenir au pays. Que faire avec eux?

«Avec ses pertes militaires quotidiennes ainsi que la perte éventuelle de la ville emblématique de Mossoul, la notoriété de Daech [acronyme arabe de l'EI] s'effrite, explique Jocelyn Bélanger, expert des questions de terrorisme et de radicalisation et professeur adjoint à l'Université de New York à Abou Dhabi. Par conséquent, nous pouvons prévoir que l'engouement pour ce groupe, qui connut son apogée en 2014, va s'estomper très fortement et que plusieurs djihadistes retourneront au bercail, ce qui veut dire, dans bien des cas, revenir en Occident.»

Selon son confrère Amarnath Amarasingam, chercheur à l'Université Dalhousie d'Halifax qui étudie l'extrémisme islamiste, des Canadiens et d'autres étrangers tenteront de profiter du chaos de la bataille pour faire défection.

«Il y a des femmes étrangères avec leurs enfants, dont des Canadiennes, qui vont vouloir regagner leur pays d'origine et vont peut-être tenter de se rendre dans les territoires occupés par les forces irakiennes pour rejoindre les forces canadiennes [qui sont dans la région] et revenir à la maison», affirme M. Amarasingam. 

Selon nos informations, des Montréalaises parties en janvier 2015 et qui ont donné naissance à des enfants en Syrie souhaitent notamment regagner le Canada.

«Quant aux combattants, indique M. Amarasingam, soit ils vont être repoussés en Syrie, soit ils vont tenter de quitter le territoire si eux aussi souhaitent faire défection.»

Sont-ils dangereux?

Les Canadiens qui reviendront après quelques années de vie dans le territoire du groupe armé État islamique représenteront-ils un danger pour la sécurité nationale?

Selon Amarnath Amarasingam, qui est en contact avec les familles de plusieurs jeunes Canadiens partis vers la Syrie, ce sont surtout des femmes, leurs enfants et de jeunes hommes désillusionnés qui voudront rentrer au bercail.

«On ne peut pas assumer que tous ceux qui sont dans l'EI veulent se battre et qu'ils comptent revenir en Occident pour commettre des attentats. Il y en a plusieurs qui veulent simplement s'en aller de là, dit-il. Ils sont désillusionnés par le combat et par l'EI, et ils veulent partir. Ils ont peu de chances d'être une menace pour l'Occident.»

Oui, certains individus seront renvoyés dans leurs pays par le groupe djihadiste spécialement pour y mener des attaques, croit l'expert.

«Mais ça va être très difficile pour des Canadiens de faire ça parce qu'on connaît presque tous ceux qui sont en Syrie en ce moment. Ce n'est pas comme en Europe, d'où des centaines sont partis et où ils pourront plus facilement disparaître dans la société à leur retour.»

N'empêche, selon Jocelyn Bélanger, le retour de membres de l'EI au Canada «pose un énorme problème pour nos forces de sécurité». «Comment ferons-nous pour bien encadrer leur retour? demande-t-il. Cela n'est pas évident.»

Préparation déficiente

Selon les experts consultés, le Canada n'est pas prêt. Pour l'instant, les questions sont plus nombreuses que les réponses lorsque vient le temps de parler de l'accueil de ces ex-djihadistes.

Quelles seront les conséquences légales de leur voyage? Comment seront-ils intégrés à la société ? Est-ce qu'on pourrait les utiliser pour faire de la déradicalisation?

«Je ne crois pas qu'on y ait pensé beaucoup, dit M. Amarasingam. Je crois qu'on voit encore ça d'un point de vue de sécurité nationale. Par exemple, pour savoir si des gens sont envoyés pour mener des attaques et comment les identifier et les stopper. Mais pour ce qui est de l'enjeu des femmes et des enfants et des jeunes qui reviennent et sur ce que nous ferons pour les réintégrer, je crois qu'on est très loin de savoir quoi faire.»

Il met aussi en lumière l'enjeu des enfants nés en Syrie de parents canadiens. «Il faudra mettre sur pied des programmes pour les accueillir au Canada. Sans compter la question de la citoyenneté de ces enfants.»

Comment les accueillir?

Faut-il envoyer tous ceux qui reviennent de Syrie ou d'Irak directement derrière les barreaux ? La nouvelle loi antiterroriste adoptée en 2015 a prévu des dispositions.

«Je ne crois pas que c'est ça qui fera l'objet de débat, dit Amarnath Amarasingam. Les questions entoureront plutôt le sort des femmes, des enfants et de ceux qu'on ne pourra pas poursuivre devant les tribunaux.»

Et, prison ou pas, ils feront partie de la société canadienne.

«Il est essentiel que ceux qui reviennent soient intégrés à des centres de déradicalisation afin que l'on puisse connaître leurs parcours psychologiques, les aider à retisser des liens avec leur réseau familial, intervenir sur leurs schémas radicaux et faire un suivi», dit Jocelyn Bélanger.

Le problème, c'est qu'à part le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal, le Canada ne possède pas de centres spécialisés permettant de contrer les schémas radicaux, déplore-t-il. «Il nous manque un outil majeur afin d'assurer la sécurité nationale et la sûreté publique», dit-il.

La réponse des autorités canadiennes

Invité à expliquer les mesures concrètes prises par le gouvernement pour se préparer au retour de djihadistes au pays, le bureau des communications du ministère de la Sécurité publique du Canada a fourni à La Presse une réponse générique.

«Le Canada surveille avec vigilance toutes les menaces potentielles et des mesures solides sont en place pour y répondre. Les menaces potentielles font l'objet d'une surveillance constante par les organismes canadiens de renseignement, de sécurité et d'application de la loi, et le Canada dispose de mesures robustes pour les contrer. Le gouvernement du Canada reste ferme dans son engagement à protéger la sécurité des Canadiens. Il continuera de prendre les mesures appropriées de lutte contre les menaces terroristes visant le Canada, ses citoyens et ses intérêts partout dans le monde.»

Une porte-parole de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a pour sa part indiqué que le corps de police doit «veiller à ce que les Canadiens qui rentrent au pays après avoir participé à des activités terroristes ne mettent pas en péril la sécurité nationale du Canada, écrit Julie Gagnon. La GRC n'a pas de solution universelle à appliquer aux voyageurs de retour au pays. Chacun pose un défi multidimensionnel et chacun a ses propres motivations et intentions.»

En chiffres

180: Nombre de Canadiens soupçonnés de prendre part à des activités liées au terrorisme à l'étranger en 2015, selon un récent rapport fédéral sur la menace terroriste au Canada. Il y en avait 130 l'année précédente.

60: Nombre de «voyageurs extrémistes» de retour au Canada soupçonnés d'avoir combattu au sein de groupes considérés comme terroristes.

20%: Proportion de femmes au sein des voyageurs extrémistes canadiens actuellement à l'étranger. «L'hypothèse la plus commune» pour expliquer leur présence en Syrie et en Irak: se marier avec des terroristes», dit le rapport.