Après l'effondrement du viaduc de la Concorde qui a fait cinq morts et six blessés, le 30 septembre 2006, le ministère des Transports du Québec (MTQ) s'était donné pour objectif d'augmenter à 80 % le pourcentage des ponts et structures en bon état sur le réseau routier supérieur et dans les municipalités du Québec en 10 ans. Il n'y est pas parvenu.

Ce ne sera pas faute d'avoir essayé. Depuis l'exercice financier 2007-2008, qui a suivi la tragédie, le MTQ a investi une somme astronomique de près de 7 milliards pour réparer ou reconstruire des centaines d'ouvrages dont l'entretien avait été cruellement négligé pendant au moins deux décennies, partout au Québec.

Les sommes records englouties dans ces chantiers ont fait grimper de plus de 1500 le nombre des ponts, ponceaux et autres structures qui ont été réhabilités ou remplacés en moins d'une décennie, dont plus de 1000 seulement sur le réseau routier québécois. C'est presque un pont sur cinq, à l'échelle de toute la province.

Mais il aurait fallu en réparer deux fois plus pour atteindre les cibles ambitieuses (et peut-être irréalistes) proposées par la Commission d'enquête sur le viaduc de la Concorde (CEVC), présidée par M. Pierre Marc Johnson, un an après le tragique effondrement survenu sur l'autoroute 19, à Laval.

Après avoir pris acte de l'état général des ponts au Québec et des moyens et objectifs que s'étaient donnés l'Ontario voisin et les États-Unis à l'égard de leurs ponts et structures, la CEVC a recommandé « l'adoption d'un programme s'étendant sur au moins dix ans, au terme duquel la proportion des ponts en bon état passerait [...] à 80 % pour les deux réseaux ».

Pour y parvenir, la Commission recommandait à Québec d'investir « un minimum » de 500 millions par année dans l'amélioration de ses structures pendant au moins 10 ans.

Selon les plus récentes données sur l'état des quelque 9700 ouvrages d'art relevant du MTQ obtenues par La Presse, 74,2 % des ponts et structures du réseau routier supérieur et 54,3 % des ponts situés dans des municipalités de moins de 100 000 habitants étaient considérés comme « en bon état », à la fin de 2015.

UN « PLAN DE REDRESSEMENT »

À sa décharge, le MTQ partait de loin. En 2006, au moment où le viaduc de la Concorde s'est effondré, à peine 53 % des ponts sur le réseau routier provincial et seulement 45 % des ponts municipaux étaient « en bon état ». Et pour remédier aux défaillances d'environ 2500 ponts, le Ministère disposait, cette année-là, d'un budget de 230 millions.

Un an plus tard, en réponse aux recommandations de la commission Johnson, le MTQ présentait un « plan de redressement » du réseau routier visant notamment à rétablir à 80 % le pourcentage des ponts en bon état. Sur le réseau supérieur seulement. Et sur un horizon de 15 ans, au lieu de 10.

Au cours des neuf années qui ont suivi, de 2007-2008 à 2015-2016, le MTQ a investi au total 6,9 milliards dans la réfection ou la reconstruction des ponts et structures, tous réseaux confondus. Une moyenne annuelle de 768 millions, largement supérieure aux 500 millions recommandés par la commission Johnson, et qui n'a pas fléchi malgré une baisse marquée des investissements routiers annuels, depuis 2011.

La part la plus importante de ses budgets - un peu plus de 6 milliards - a servi à réhabiliter les ponts et structures des autoroutes, des routes nationales, des routes secondaires et des chemins locaux relevant de la compétence exclusive du MTQ.

Le parc de structures du réseau routier supérieur québécois compte un peu plus de 5400 ponts, ponceaux, passerelles et autres ouvrages d'art, dont plus des deux tiers ont été construits entre 1960 et 1980.

Depuis les années 90, les spécialistes du Ministère ne manquaient pas une occasion de souligner que ces structures avaient généralement besoin de travaux de réfection majeure après 30 ans de vie utile. En raison de leur âge moyen, « le Ministère fait donc face à une pointe de besoins de réparation et d'entretien qui devrait s'étendre jusqu'en 2010 », indiquait ainsi le rapport annuel de gestion du MTQ de 2005, un an avant l'effondrement du viaduc de la Concorde.

Le pourcentage des structures en bon état du réseau supérieur était en chute libre. Entre 2000 et 2006, il est passé de 60 à 53 %.

UN COUP DE FOUET

La tragédie du viaduc de la Concorde a eu l'effet d'un coup de fouet. De 2007 à 2015, les investissements totalisant 6 milliards ont fait passer la proportion des structures en bon état de 52,9 à 74,2 %, un bond de plus de 20 points de pourcentage.

Si le MTQ n'atteindra vraisemblablement pas l'objectif de 80 % à la fin de 2017, tout indique qu'il y parviendra dans les délais prévus dans son plan de redressement du réseau routier, soit d'ici 2022.

Ce ne sera toutefois pas le cas pour les 4300 ponts municipaux, dont le MTQ a repris la responsabilité, en 2007, comme le recommandait la commission Johnson. Dans son plan de redressement, le MTQ n'a fixé aucune cible précise quant à l'amélioration de ce parc de structures, d'ici 2022.

En 1993, dans un souci de réduire les charges de l'État, le gouvernement du Québec a littéralement abandonné ces 4300 ponts de la voirie locale aux bons soins de municipalités, qui n'avaient ni l'expertise ni les moyens de les entretenir. Leur état laisse sérieusement à désirer.

Ainsi, en 2007, quand le MTQ en reprend la responsabilité, 43 % de ces ponts sont considérés comme en bon état. Un an plus tard, après les inspections annuelles, ce taux est tombé à 38,6 %.

« À partir de là, pour atteindre la cible de 80 %, en 2022, il aurait fallu intervenir sur 270 ponts par année pendant 15 ans, plaide Sarah Bensadoun, porte-parole du MTQ. Avec le nombre de chantiers en cours sur le réseau routier supérieur, et en tenant compte des ressources du Ministère et de la capacité de réalisation de l'industrie de la construction, ce n'était pas une cible atteignable. »

Depuis 2008, près de 100 millions ont été investis en moyenne, chaque année, sur les structures des réseaux municipaux. Les investissements totalisant 874 millions, en neuf ans, ont permis de faire passer le pourcentage des structures en bon état à 54,3 %.

Ce qui laisse tout de même plus de 2000 ponts et ponceaux, partout dans les villes et villages du Québec, qui auraient besoin de travaux de réparations d'ici cinq ans. Et plus de 1150 ponts à réparer, au minimum, pour atteindre la cible de 80 % recommandée par la commission Johnson.

PONTS DU RÉSEAU ROUTIER SUPÉRIEUR

• Nombre :  5412 (en 2014)

• Proportion des ponts en bon état (2006) : 52,9 %

• Proportion des ponts en bon état (2015) : 74,2 %

• Investissements (2007-2015) : 6 milliards

PONTS MUNICIPAUX

• Nombre : 4300 (en 2014)

• Proportion des ponts en bon état (2006) : 44,8 %

• Proportion des ponts en bon état (2015) : 54,3 %

• Investissement (2007-2015) : 874 millions