« Dysfonctionnement sérieux », « climat malsain », « crise interne ». Une enquête sur la Chambre des huissiers du Québec récemment rendue publique trace le portrait d'un organisme public en piètre état qui s'est placé en conflit d'intérêts en investissant dans une entreprise privée à même son budget.

C'était la première fois de son histoire que l'Office des professions devait déclencher pareille enquête.

« Les conflits ouverts entre les présidents et une partie de leur C.A., les conflits entre la présidence et son personnel-cadre avant 2014 et, conséquemment, le très fort taux de roulement du personnel, la gestion et le contrôle financier déficients » sont autant de symptômes du problème, selon les notaires Daniel Gervais et Jean-Pierre Bertrand, chargés de l'enquête. En six ans, la Chambre des huissiers « a vu défiler quatre directeurs généraux et trois responsables des affaires professionnelles », continuent les auteurs.

La Chambre des huissiers consacre aussi un budget « nettement insuffisant » aux inspections professionnelles et accorde trop de confiance au pouvoir des auto-évaluations pour détecter les problèmes, indique leur rapport d'enquête.

S'ajoute à ce bilan l'investissement de la Chambre dans une entreprise privée baptisée Huissiers Québec inc. ayant son siège social à la même adresse que l'ordre professionnel. Il s'agissait d'un projet de plateforme informatique de signification des procédures judiciaires.

Le rapport révèle que dès 2013, le C.A. de la Chambre des huissiers obtenait un avis juridique qualifiant de « quelque peu étonnant, voire même inconcevable », le fait qu'un ordre professionnel « puisse prendre part à une activité visant le gain pécuniaire et le profit ». Le projet est tout de même allé de l'avant.

UNE CONFUSION « DÉLIBÉRÉMENT » ENTRETENUE

L'entreprise semble être née parce que certains huissiers craignaient de voir une grande partie de leur travail disparaître avec la possibilité de signifier électroniquement des documents plutôt que de le faire physiquement.

« Plusieurs administrateurs interrogés admettent avoir confondu la notion de protection du public et l'intérêt des membres, écrivent MM. Gervais et Bertrand dans leur rapport. Au surplus, nos rencontres ont démontré que plusieurs d'entre eux continuent d'entretenir, délibérément ou non, cette confusion pour soutenir des prises de décision de nature corporatiste. »

En entrevue, la Chambre des huissiers a assuré que les recommandations du rapport sont déjà en cours d'application. « Un comité de gouvernance et un comité d'audit ont été formés », a affirmé Véronique Saulnier, directrice générale de l'ordre professionnel. Elle fait valoir que certains problèmes ont été réglés avant même le déclenchement de l'enquête de l'Office des professions.

Quant à Huissiers Québec inc., l'aventure est terminée. « L'entreprise a été liquidée », a indiqué Mme Saulnier.