Le port du bracelet électronique se répand au Canada pour les délinquants sous juridiction fédérale et il pourrait augmenter encore davantage, tandis que l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) songe elle aussi à y avoir recours.

Des données obtenues par La Presse indiquent que 92 délinquants ont été placés sous surveillance électronique par Service correctionnel Canada (SCC) depuis le début d'un projet-pilote en novembre. Au Québec, le nombre est de 14.

De plus, 45 autres détenus à travers le pays ont été autorisés à porter le bracelet et ils attendent le début de leur libération conditionnelle pour commencer à le faire.

Ce projet de trois ans vise des délinquants en libération conditionnelle ou de longue durée, qui ont été reconnus coupables de tout type de crime. Ils s'ajoutent aux mesures de sécurité et de surveillance traditionnelles qui restent en vigueur, a expliqué une porte-parole de SCC.

Le bracelet, qui se porte à la cheville, combine trois technologies pour localiser le délinquant en libération surveillée : le GPS, la radiofréquence et la téléphonie cellulaire. En principe, le projet se fait sur une base volontaire, mais « la loi permet au SCC d'exiger qu'un délinquant porte le dispositif », a précisé une porte-parole de l'agence.

« Ça se passe bien, a pour sa part indiqué Anne Kelly, sous-commissaire principale de SCC, au cours d'une entrevue avec La Presse. On fait des recherches et on élabore un plan pour voir comment ça nous aide, et à la fin des trois ans, on sera capable de dire : oui, ça nous aide, ou non, ça ne vaut pas la peine. »

L'ASFC également ?

L'Agence des services frontaliers du Canada ne semble pas vouloir attendre trois ans, cependant, pour explorer cette technologie. L'agence fédérale est souvent pointée du doigt pour ses propres activités de détention, qui visent entre autres les demandeurs d'asile.

Plus de 20 personnes sont décédées derrière les barreaux de l'ASFC depuis une quinzaine d'années, dont trois cette année. Les défenseurs des droits de la personne et de plus en plus de politiciens font pression pour un changement du système et une plus grande transparence.

Témoignant devant un comité parlementaire lundi dernier, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a déclaré qu'il souhaite éventuellement éviter la détention de mineurs et que des propositions sont à l'étude pour assujettir l'ASFC à un organe de surveillance.

« Vous avez peut-être remarqué qu'il y a environ une semaine, l'Agence des services frontaliers a diffusé une demande de propositions au sujet d'alternatives à la détention, a ajouté le ministre. Certaines personnes ont dit, par exemple, que certaines formes de surveillance électronique pourraient être appropriées dans bon nombre de cas. Ça pose aussi des questions de libertés civiles. Mais c'est peut-être une alternative à considérer dans certaines circonstances. »

Quels impacts?

Pas au Québec

Au ministère de la Sécurité publique du Québec, on indique qu'aucun délinquant placé sous sa responsabilité n'est ainsi assujetti au port du bracelet. La surveillance électronique est toutefois présente dans d'autres provinces, dont la Colombie-Britannique, où en mars 2014, environ 75 délinquants étaient ainsi surveillés électroniquement en vertu de conditions imposées par les tribunaux. Une quinzaine de délinquants portent néanmoins le bracelet électronique dans la province francophone dans le cadre du projet-pilote de Service correctionnel Canada (SCC). La surveillance électronique est aussi répandue dans d'autres pays, dont la France.

Pédophiles?

Service correctionnel Canada affirme que les délinquants de tous les horizons peuvent porter le bracelet. Mais David Henry, de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), estime qu'à l'heure actuelle, la mesure vise surtout les délinquants sexuels, dont les pédophiles. « Ce n'est jamais écrit comme ça, mais dans les faits, c'est quand même beaucoup des délinquants sexuels qui sont visés par ce dispositif-là. Parce que c'est un dispositif qui permet de vérifier les positions géographiques effectives, et les détenus qui ont des exclusions géographiques, souvent ce sont les délinquants sexuels. » Il souligne qu'en France, la mesure est plus souvent utilisée pour assigner un délinquant à résidence.

Des réserves

Des experts consultés par La Presse ont soulevé de sérieuses réserves à l'égard d'une telle surveillance électronique. La question des coûts et celle de l'inefficacité pour prévenir la récidive sont souvent évoquées, de même que les limites aux libertés individuelles, jugées trop importantes. François Bérard, criminologue et directeur de la maison de transition Saint-Laurent, rappelle que le gouvernement Harper a fait des coupes dans plusieurs programmes visant la réhabilitation de groupes ciblés de délinquants. « Quand vient le temps de réinvestir des sommes d'argent, on devrait le faire dans des programmes qui sont pertinents, et non pas d'arriver avec des gugusses du style bracelets électroniques. »

Les coûts

SCC n'a pas précisé les coûts d'une telle mesure, ni ceux du projet-pilote. Mais selon Justin Piché, professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa et spécialiste des questions carcérales, « c'est une technologie qui peut être assez dispendieuse ». Ces coûts incluent ceux du dispositif, ainsi que ceux des technologies et du personnel chargés d'assurer la surveillance. Dans certaines circonstances, une partie de la facture peut être épongée par les délinquants eux-mêmes. Dans le cadre du projet-pilote, ces coûts ne font que s'ajouter à ceux du système de libération conditionnelle qui reste en vigueur, note David Henry, de l'ASRSQ. Mais si les bracelets sont utilisés comme solution de rechange à l'incarcération, comme prévoit le faire l'ASFC, ils peuvent se substituer aux coûts liés à la détention, qui peuvent eux-mêmes être élevés.

Terrorisme

De tels bracelets sont déjà imposés depuis plusieurs années à quelques personnes soupçonnées de poser un danger pour la sécurité nationale pour des raisons liées au terrorisme. Le Montréalais Adil Charkaoui, notamment, a dû le porter de 2005 à 2009 alors qu'il était visé par un certificat de sécurité. Au printemps 2016, deux Montréalais se sont fait imposer par les tribunaux de porter un bracelet électronique de manière préventive, alors qu'aucune accusation n'avait été déposée contre eux.

Double occupation en baisse

Par ailleurs, l'occupation double des cellules a diminué depuis l'agrandissement des pénitenciers canadiens par le gouvernement Harper, selon Service correctionnel Canada. D'avril 2009 à avril 2013, la proportion de détenus dans des établissements fédéraux qui vivaient en occupation double est passée de 9,6 % à 21 %. Ce pourcentage est redescendu à 11 % en avril 2016. La capacité des pénitenciers est-elle maintenant suffisante pour accueillir la population carcérale ? « Oui, parce qu'on a ajouté 2752 lits, a répondu en entrevue Anne Kelly, sous-commissaire principale de SCC. C'est clair que ça a aidé. »