Le président de l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) s'est vu interdire l'accès aux bureaux de l'organisation à la suite de multiples allégations de harcèlement psychologique, a appris La Presse.

Une enquête sur la nature exacte des faits reprochés à Jean-François Proulx a été déclenchée la semaine dernière, alors que l'OIQ est en pleine campagne électorale pour la présidence; le scrutin électronique auprès des 62 000 membres débute demain et M. Proulx est l'un des six candidats.

Le harcèlement allégué, nié par M. Proulx, est exposé dans un rapport de 43 pages produit par Relais Expert-Conseil, une firme spécialisée en ressources humaines et en gestion de crises. Son mandat était d'évaluer le climat de travail au sein de l'OIQ. Le rapport a été transmis aux 24 membres du conseil d'administration en début de semaine.

Selon trois sources proches du dossier, les témoignages à l'origine de ce rapport se résument à «un régime de terreur» avec M. Proulx à la présidence. Chacune de ces personnes a demandé à ne pas être identifiée, l'une d'elles par crainte de représailles.

Une de ces personnes raconte que des gestionnaires de l'OIQ estiment que M. Proulx avait un langage ordurier à leur égard, n'hésitant pas à hausser le ton et à abattre les poings sur le bureau.

Cette même personne rapporte que M. Proulx aurait fait des menaces de congédiement et aurait utilisé des «surnoms dégradants» comme «Trou d'cul», «Pôpa», «Captain Crunch» pour désigner certains dirigeants ou administrateurs.

De plus, des courriels portant la signature de M. Proulx se terminent parfois par des messages comme «I kill him» ou «I kill her».

Une autre source explique que lorsque M. Proulx était mécontent d'être contredit, il faisait semblant d'être armé et mitraillait ses interlocuteurs.

Toujours en poste

Joint en début de soirée à son travail, Jean-François Proulx a répété ne pas vouloir commenter la situation, puisque les règles électorales interdisent aux candidats de parler aux médias grand public. Néanmoins, il s'est dit surpris «que ça arrive comme ça, une semaine avant l'élection». Il a d'ailleurs précisé qu'il est toujours président de l'Ordre.

Au cours de ce bref entretien, M. Proulx a lancé: «C'est complètement faux. Ce ne sont que des allégations.» La Presse a tenté de lui faire préciser ce qu'il juge faux, sans y parvenir. Il a toutefois ajouté que «toute personne qui serait visée par ce genre d'allégations serait étonnée et serait visiblement marquée».

À l'OIQ, aucun commentaire n'a été formulé hier. Du côté de l'Office des professions du Québec, qui chapeaute 46 ordres professionnels, dont celui des ingénieurs, on affirme avoir été informé à la fin de la semaine dernière que M. Proulx n'avait plus le droit d'entrer dans les bureaux de l'OIQ et qu'il faisait face à des allégations de harcèlement psychologique.

Le porte-parole de l'organisme, Stéphane Boivin, a toutefois souligné que l'Office estime qu'il s'agit d'un «problème de régie interne». « L'Office prend la situation très au sérieux, mais, pour le moment, il n'y a aucune indication que la mission de protection du public est compromise », a-t-il indiqué.

Ce dernier a précisé avoir informé de la situation le cabinet de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, qui est la responsable politique de l'application des lois professionnelles.

Mise en tutelle

Par ailleurs, l'Office des professions dépêchera un observateur pour la réunion du conseil d'administration de l'OIQ qui se déroulera aujourd'hui.

La situation vient d'exploser, mais ce n'est pas d'hier que le climat de travail au sein de l'OIQ fait l'objet de préoccupations. En janvier 2015, un rapport commandé par l'Office des professions recommandait de nettoyer «un climat de travail pourri».

L'un des auteurs de ce rapport, le Dr Yves Lamontagne, dit constater que les choses n'ont pas changé depuis un peu plus d'un an.  « L'Office n'a pas mis ses culottes lorsque le rapport a été déposé. Ça aurait pourtant été le temps de faire le ménage », a-t-il affirmé à La Presse.

Selon le Dr Lamontagne, la première version de son rapport recommandait la mise en tutelle de l'OIQ, mais l'Office a exigé un adoucissement, a-t-il affirmé.

L'automne dernier, le personnel de l'OIQ a été sondé sur sa «mobilisation». Selon trois sources différentes, il en ressortait un «malaise» et un «inconfort» compte tenu du «mauvais climat de travail».

En mars dernier, alors que l'année financière se terminait, les membres de l'équipe de gestion ont eu chacun une rencontre d'évaluation. La mise sous pression et le climat de travail ont été montrés du doigt. Il y avait même «un certain désarroi» dans les propos recueillis, a souligné une source.

C'est à ce moment qu'une firme externe a été mandatée pour aller plus loin dans l'analyse du climat de travail, ce qui a mis au jour des allégations de harcèlement psychologique. Depuis, des plaintes formelles ont été déposées auprès des ressources humaines de l'OIQ.