Les circonstances entourant les soins prodigués à Sonia Blanchette, morte en janvier 2015 après s'être laissée mourir de faim, ont mené le Collège des médecins, l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et le Protecteur du citoyen à enquêter sur la qualité des traitements offerts et le respect des droits des patients hospitalisés à l'Institut Philippe-Pinel, a appris La Presse.

« C'est simple : l'Institut Philippe-Pinel est un univers sans droit pour les patients », soutient l'avocat spécialisé dans la défense des droits des patients, Me Jean-Pierre Ménard, qui a lui-même porté plainte auprès du Collège des médecins et du Protecteur du citoyen.

La semaine dernière, La Presse relatait que le Collège des médecins s'inquiétait de la qualité des soins offerts à l'Institut Philippe-Pinel au point de mener enquête.

Me Ménard dit avoir alerté le Collège en 2015. Après avoir gardé le silence pendant des mois sur cette affaire, il a accepté de présenter à La Presse son résumé des faits reprochés à l'Institut Philippe-Pinel.

LE CAS BLANCHETTE

En 2014, Sonia Blanchette, cette mère de famille accusée du meurtre de ses trois enfants, était incarcérée à la prison Tanguay. Elle disait vouloir se suicider pour rejoindre ses enfants.

Durant l'année, Sonia Blanchette a effectué plusieurs va-et-vient entre la prison et l'Institut Philippe-Pinel. « Dès qu'elle allait mieux, on la retournait à Tanguay », raconte sa mère, Nicole Grenier.

Lors de son passage à l'Institut Philippe-Pinel, Sonia Blanchette a été maintes fois soignée contre son gré, alors qu'elle était apte à consentir à ses soins, critique Me Ménard.

Dans le rapport du coroner émis dernièrement, on note en effet que Sonia Blanchette ne souffrait d'aucune dépression majeure, ni de trouble psychotique. Elle « apparaît tout à fait apte à prendre une décision éclairée », est-il écrit.

Or, durant son passage à Pinel, Sonia Blanchette a notamment subi des prises de sang contre son gré, dénonce Me Ménard. Elle s'était également fait interdire les visites, raconte Mme Grenier. « On lui disait : si tu ne manges pas, tu n'auras pas de visite. Je me suis fait refuser des visites au moins quatre ou cinq fois », dit-elle, tout en ajoutant que sa fille était gardée pratiquement tout le temps dans sa chambre, sans accès aux activités.

AMENÉE À MAISONNEUVE-ROSEMONT

Fin novembre, Sonia Blanchette est transférée contre son gré à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont pour subir un prélèvement sanguin. Dès qu'il l'apprend, Me Ménard envoie une mise en demeure à l'hôpital, dans laquelle il explique que sa cliente a été jugée apte à consentir à ses soins et qu'elle refuse justement d'être soignée.

«On peut ne pas être d'accord avec la personne. On peut juger ce qu'elle a fait. Mais la règle de droit, c'est que quand une personne est apte, elle peut décider des soins qu'elle veut recevoir ou non.»

- Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans la défense des droits des patients

Sonia Blanchette est renvoyée à l'Institut Philippe-Pinel. Me Ménard achemine aussitôt une mise en demeure à la direction de l'établissement pour indiquer de cesser de soigner sa cliente. « Je leur ai expliqué qu'il semblait y avoir de la confusion et de l'incompréhension de leur côté sur la notion d'aptitude à consentir », dit-il.

Le 3 décembre, il transmet une plainte au commissaire aux plaintes de Pinel. Le lendemain, l'Institut lui répond qu'un comité d'éthique hospitalier d'urgence a été mis sur pied et a conclu que Sonia Blanchette pouvait être retournée à Tanguay, ce qui fut fait.

Rapidement, Sonia Blanchette fut transférée à l'hôpital du Sacré-Coeur, aux soins palliatifs, où elle est morte en janvier 2015.

Quelques jours plus tard, Me Ménard a reçu la réponse de la psychiatre examinatrice de l'Institut Philippe-Pinel, qui a rejeté sa plainte. Me Ménard a décidé par la suite de porter plainte au Collège des médecins et au Protecteur du citoyen.

CULTURE ORGANISATIONNELLE À REVOIR

Dans sa plainte, on peut lire que Sonia Blanchette a subi des « atteintes très grave à son droit à l'inviolabilité, à son droit à l'autonomie de sa personne, à son droit à des services de qualité, à son droit de porter plainte, etc. ». « Ces atteintes ne sont pas le fruit d'une seule personne, mais de la plupart des intervenants professionnels et semble traduire une culture organisationnelle clairement préjudiciable aux droits des patients, est-il écrit. Nous avons la conviction très forte qu'il ne s'agit pas d'une situation isolée, mais qu'il s'agit plutôt de pratiques appliquées à l'ensemble des patients de l'établissement. »

Commissaire aux plaintes à l'Institut Philippe-Pinel au moment des faits, Me Louis Letellier de St-Just n'a pas voulu commenter le dossier, si ce n'est pour dire que tout établissement qui reçoit des recommandations du Protecteur du citoyen doit les recevoir « avec beaucoup d'humilité ». « Il faut étudier les recommandations et faire les changements avec en tête les besoins des patients. Et Pinel n'y échappe pas », dit-il. Me Letellier de St-Just a démissionné en avril 2015.

PINEL RÉPLIQUE

Directeur des services professionnels à l'Institut Philippe-Pinel, le Dr Gilles Chamberland confirme que le Collège des médecins a bien enquêté dans son établissement, mais selon lui, les enquêteurs n'ont pas analysé le cas précis de Sonia Blanchette. « Ils ont regardé nos processus plus administratifs, dit-il. Ils nous ont fait des commentaires, mais rien qui était à corriger de façon urgente. »

Tout en mentionnant que le cas de Sonia Blanchette était « délicat », le Dr Chamberland n'a pas voulu commenter le dossier plus en profondeur pour des raisons de confidentialité. Mais ce dernier a expliqué que les cas de patients voulant se suicider sont toujours complexes. 

«On ne veut pas que les gens se suicident parce qu'ils sont malades.»

- Le Dr Gilles Chamberland, directeur des services professionnels à l'Institut Philippe-Pinel

Le Dr Chamberland reconnaît qu'un patient jugé apte peut choisir ou non de recevoir des soins et que l'établissement doit respecter ce choix. « Mais dans certains cas, la notion d'aptitude est plus complexe. Et ça peut être long avant que l'on se fasse une idée. En attendant, on soigne les patients. On ne voudrait pas venir se faire dire après que ce patient était malade et que nous ne l'avons pas soigné », dit-il.

Le Dr Chamberland ajoute que la notion de consentir ou non aux soins ne peut pas se faire « à la pièce » à Pinel et que les patients acceptent ou non de participer à leur « programme de soins ».

Photo Olivier Pontbriand, archives La Presse

Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans la défense des droits des patients